mercredi 21 juillet 2010

Anorexie, barbarie et Occident

Tout d'abord, quelques chiffres édifiants:

- 90 à 95% des personnes anorexiques sont des femmes;

- chez les adolescentes, elles représentent 1%;

- l'exacte moitié a été victime d'abus sexuels;

- 7 à 8% meurent des suites de leur maladie ou de suicide.

Ces chiffres sont à mettre en lien avec le fait qu'à 14 ans, 33% des jeunes filles déclarent avoir déjà fait un régime et que, plus tard, 54% des femmes adultes se trouvent trop grosses.

Je me pose donc la question suivante: à quoi reconnait-on qu'une société fait preuve de barbarie ?

Les Occidentaux semblent pourtant être passés maîtres dans l'art de désigner qui est incivilisé et qui ne l'est pas, qui maltraite ses femmes et qui les respecte.

Eux, évidemment, les respectent car ils sont
ci-vi-li-sés, claironnent-ils.

Pourtant, comment appelle-t-on une société qui impose, médias en renforts, à la moitié de ses membres de se conformer aux fantasmes masculins fluctuants selon leur humeur du moment (la rondeur fut un temps, la minceur aujourd'hui, les pieds palmés demain ?) quitte à y laisser la vie ?

Le carcan 38* ou corset invisible, au choix, dans lesquels sont enfermées les femmes vaut bien une burqa. La violence de l'injonction et de ses dommages n'a rien à envier à celles qui se déroulent dans d'autres cultures, elle est juste plus sournoise et surtout plus tordue.

Hypocritement et pour ne pas faire trop de vagues avec ça, on parle couramment d'anorexie mentale. Mentale, donc c'est dans SA tête à cette jeune fille ... comme dans celle des milliers d'autres jeunes filles.
Hallucination collective.

Et le "T'es un thon" jeté en 4ème par des petits mâles déjà conscients de leur pouvoir de vie ou de mort sur le corps de leurs camaradEs, c'est dans Sa tête ?

90% de femmes parmi les victimes et 50% d'abusées sexuelles sont pourtant des données révélatrices d'un phénomène de société pas de névroses masochistes individuelles. Ce que l'on ne veut pas dire, et que l'on ne dira probablement jamais, c'est que ces jeunes filles souffrent d'anorexie sociale.


Et au fait, c'est quoi être anorexique ? C'est haïr son corps au point de l'affamer, c'est se couper de ce corps que l'on déteste. Haïr un corps qui ne vous a rien fait, c'est pour le moins étrange ... 

A moins que ce corps n'ait été sali au plus intime à un moment donné, à moins que ce corps ne veuille décidément pas correspondre à ce qu'une norme inaccessible dicte.

Les jeunes filles anorexiques ne font finalement que reprendre à leur compte, avec plus de détermination que les autres, le dégoût du corps des femmes que des hommes ont semé ... pelotable, pénétrable, trop gros, trop ridé, trop poilu, toujours trop.

Ou pas assez ?

La majorité des hommes n'aiment pas les femmes, ils confondent. Il aiment juste l'idée qu'ils se font des femmes, une espèce d'idéal. Mais imposé, l'idéal.

Quand des jeunes filles souffrent et meurent,
dans une certaine indifférence, pour les caprices et les libertés de quelques uns, on est bien dans une société qui n'a rien à envier à celles qu'elle ne cesse de montrer du doigt.





* comprendre "taille 38", mensuration au delà de laquelle une femme est classée dans la catégorie "boudins". Le concept est de Fatema Mernissi, cité dans Le harem et l’Occident.

A lire pour aller plus loin

14 commentaires:

  1. Je ne suis pas d'accord là-dessus. Sincèrement, j'ai rarement croisé des anorexiques dans ma vie. C'est tout de même un phénomène marginal il me semble. A vrai dire, j'ai croisé plus de burqas que d'anorexiques, de plus en plus ces dernière années, bien que ça reste également marginal.

    Il y a beaucoup plus d'obèses, en augmentations aussi, surtout dans les pays anglo-saxons, maladie due à la malbouffe et le plus souvent dans les classes sociales les plus défavorisées.

    En tous cas il y a beaucoup plus de voiles (hidjab), que d'obèses ou d'anorexiques. Et le foulard par 38°, ça ne doit pas être la joie à porter. ça doit même pour tout dire être insupportable que d'être engoncée là-dedans.

    Je me méfie des insinuations perfides de Fatemam Mernissi et ne les trouve pas pertinentes.

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  2. à quoi reconnait-on qu'une société fait preuve de barbarisme ?
    demandez vous.


    Et justement vous en commettez un (barbarisme).
    C'est savoureux comme mise en abyme.

    * BARBARISME, subst. masc.

    BARBARISME, subst. masc.
    GRAMM. Faute contre le langage soit dans la forme, soit dans le sens du mot (mot créé ou altéré, dévié de son sens, impropre). Faire un malheureux, un vilain barbarisme; le plus étrange barbarisme; les barbarismes du latin d'Église

    (http://www.cnrtl.fr/lexicographie/barbarisme)

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  3. @ Mohican

    Effectivement, j'ai commis un "regrettable" barbarisme sur-le-champ corrigé !

    Merci de me l'avoir signalé.

    Et sinon, à part cette erreur somme toute humaine qui semble discréditer à vos yeux l'ensemble de mon propos, y a-t-il d'autres incorrections grammaticales qui viendraient confirmer que je dis vraiment n'importe quoi ?

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  4. @ Floréal

    On va dire qu'on n'est pas d'accord sur ce coup-là !

    Pas de course à la marginalité pour ma part, la souffrance et les décès que le diktat de la maigreur engendre me suffisent à penser que les soi-disant femmes de culture occidentale libérées et choyées font partie du fantasme de l'égalité déjà là.

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  5. En Allemagne, par contre, on se fait du souci pour des petites filles qui font dès l'âge de huit ans ou moins, du régime pour ne pas grossir.
    D'un autre côté, les occasions de devenir obèse ne manque pas. Dès toutes petites, l'alimentation s'avère être un casse-tête pour les filles. Pourtant (et curieusement), en Allemagne du moins, il y a de plus en plus de garcons anorexiques vers 11/12 ans. Ils atterrissent en psychiatrie parce que les parents sont plus alarmés lorsque c'est un garcon. Mais l'éducation des enfants en général est devenu un parcours du combattant. L'injonction de consommer est en grande partie responsable. Il y a la tentation de la goinfrerie et le diktat de l'apparence. C'est la schyzophénie absolue. Le sexisme n'arrange pas les choses. Abattre le capitalisme serait abattre le patriarcat donc abattre le sexisme. C'est ce que je préconise. Pour la santé de tous.

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  6. @ Euterpe

    En France aussi, le souci de la minceur est de plus en plus précoce est c'est probablement à mettre en lien avec l'hypersexualisation des petites filles. Pour les garçons, je ne connais pas la situation ici.

    J'ai rajouté sur mon billet un lien vers un texte de Mona Chollet qui expose bien la situation en Occident.

    Le texte s'ouvre sur cette réflexion de Fatema Mernissi:
    « Les Occidentaux n’ont pas besoin de payer une police pour forcer les femmes à obéir : il leur suffit de faire circuler les images pour que les femmes s’esquintent à leur ressembler. » et se poursuit avec une autre de Naomi Wolf:
    « Une fixation culturelle sur la minceur féminine n’est pas l’expression d’une obsession de la beauté féminine, mais de l’obéissance féminine. »

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  7. Excellent ! Il faut que je montre ce texte à ma fille qui râle beaucoup contre les contraintes qu'on inflige à sa génération (elle a 20 ans) en matière d'apparence !

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  8. Oui il y a quantité d'anorexiques et de boulimiques et si on ne les voit pas c'est parce que ce n'est pas marqué sur leur front, ça ne se voit pas, contrairement à une burqa qui saute aux yeux.
    je pense pouvoir parler un peu en connaissance de cause puisque j'ai moi-même été boulimique plus de 6 ans et quand j'en ai parlé plus tard à des proches qui me voyaient tous les jours ils sont tous tombés des nues.
    Les docteurs me disaient: obsession du poids, l'une allant jusqu'à me dire que je ne devrais pas m'en faire et qu'elle était sûre que de nombreux gars me sifflaient dans la rue. Comme si c'était un compliment alors que justement... Et je m'enfonçais de pus en plus car ce n'était pas une question de poids. Et je connais des anorexiques pour lesquelles le poids n'avait rien à voir là-dedans non plus. C'est beaucoup plus complexe que cela. Dans mon cas, il s'agissait de "m'accepeter" en poubelle et de combler un vide, une angoisse. Je me gavais de nourriture de merde pour me convaincre que j'en étais une. Quand on a entendu des années qu'on est nulle, qu'on n'est rien et qu'on ne sait pas ce qu'on veut on a un sentiment de non-existance, on est persuadée d'être rien, de n'avoir aucune valeur.
    J'ai croisé des anorexiques qui ne mangeaient plus car persuadées de ne pas mériter de manger à leur faim car convaincues d'être des parasites, d'autres qui refusaient de manger pour ne pas avoir de formes, non pas par souci de poids imposé par les médias mais pour échapper à la condition de femme adulte poupée gonflable. D'ailleurs, tu soulignes très bien le grand nombre de victimes de violences sexuelles parmis les malades. Quand on a subi un viol, on se fiche pas mal d'être attirante et de ressembler aux poupées à 4 pattes des pubs, bien au contraire!
    Le poids peut effectivement être une cause dans certains cas mais pas dans autant de cas qu'on veut nous le faire croire. Et cela profite à qui de dire: "Regardez ces pauvres filles qui veulent ressembler aux modèles des magazines. Elles aimeraient bien elles aussi être étalées partout jambes écartées à faire fantasmer les mâles". Et oui, ça rejoint l'idée de toutes des salopes avec un poids chiche dans la tête et qui aiment bien être violentées.

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  9. J'aime beaucoup cet article. Je trouve aussi que la haine du corps est typiquement féminin, ça peut se traduire par l'anorexie mais aussi par manger à outrance pour se remplir.

    Alors qu'on complimente les petits garçons sur leur force ou leurs habiletés, on complimente les petites filles sur leur physique : "Tu es la plus jolie", "Tu as une jolie robe." Peut-être qu'ainsi plus tard on ne peut exister dans l'oeil des autres (des hommes) qu'en étant physiquement agréable, comme si c'était là notre seul moyen d'expression.

    Je crois que c'est dans Orgueil et préjugés qu'Elizabeth dit que les femmes portent de jolies tenues parce que c'est leur seule manière de s'exprimer. Les mentalités n'ont guère évolué depuis finalement.

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  10. @ Euterpe

    C'est bien, ta fille a déjà une conscience féministe !

    Quand je tombe sur des magazines destinées aux jeunes filles, je déprime pendant une semaine ! Quelle pression ils leur foutent: c'est qu'il faut les préparer à entrer sur le marché à la bonne meuf (= qui correspond aux canons masculins du moment).

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  11. @ Alice

    Je comprends ce que tu dis à travers ta propre expérience mais il me semble, à travers les miennes, d'expériences, que l'anorexie a beaucoup à voir avec l'obsession de minceur conjuguée aux abus sexuels.

    Je m'explique: au cours de l'année passée, j'ai côtoyé dans le cadre de mon travail deux jeunes filles de 18 ans environ dont l'une était vraiment anorexique (avec séjours en hôpital) et l'autre était obsédée par la minceur. Les deux étaient assurément très maigres et pourtant elles maintenaient qu'elles étaient énormes. L'une d'elle, un jour où elle a appris qu'une autre stagiaire avait perdu 20 kilos suite à une maladie assez grave, a lancé qu'elle avait trop de chance ...
    L'une d'elle avait subi des viols répétés dans son enfance et fait des tentatives de suicide. Pas de désir chez elle de ressembler à un mannequin de magazine.
    Par contre, l'autre passait son temps à soigner son apparence (UV pour bronzer, french manucure, colorations des cheveux ... et régimes censés lui oter ces kilos en trop qu'elle n'avait pas).

    La dictature de la minceur et les abus sexuels constituent à mes yeux des violences contre les femmes, contre leur intégrité, leur estime de soi, leur liberté de vivre telles qu'elles sont et en sécurité.

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  12. @ Perrine

    Merci ;)

    Tu as tout à fait raison, la seule voie de reconnaissance sociale exploitable par les femmes est leur physique. Pas étonnant que les femmes soient les principales victimes de désordres alimentaires qui leur sont parfois fatals.

    Etre "moche" ou "grosse" est l'équivalent d'une mort sociale pour les femmes ... alors plutôt mourir que de se voir "dans cet état".

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  13. Oui, bien sûr que certains cas d'anorexie ont un rapport avec l'obsession de la minceur mais ce que je voulais souligner c'est que ce n'est pas toujours le cas. Or, quand on consulte pour anorexie ou boulimie, les médecins ne se centrent QUE sur la minceur. Comme s'il ne pouvait pas y avoir d'autres cas de figure. Je dis les médecins mais tout le monde en général: les TCA c'est OBLIGATOIREMENT des filles qui veulent maigrir. Quid des gars et quid du reste.

    C'est extrêmement violent quand on tente d'expliquer que non, la minceur n'est pas le problème et qu'on nous rétorque que si, notre problème c'est la minceur. Je l'ai ressenti exactement comme tous ces "braves gens" qui disent des violé-e-s qu'elles (ils) ont bien du dire un non qui veut dire oui.
    "Tu dis non, c'est pas la minceur mais en fait tu veux dire oui c'est la minceur". C'est horrible à entendre, vraiment. Surtout que l'on se trouve dans une phase de grande fragilité, de doutes, de souffrance. Comment peut-on aller contre ce que des médecins, des spécialistes et la société entière nous disent alors que l'on est détruite? J'avoue que j'ai capitulé et j'ai dit que oui, que je voulais mincir pour qu'enfin on arrête de me traiter de menteuse. Je ne pouvais plus supporter qu'on me traite de menteuse et qu'on me reproche de nier le fait que j'avais un problème avec mon poids en tant que corps en adéquation avec les mag féminins. Surtout que je n'ai jamais lu aucun de ces torchons de ma vie. J'ai donc dit que je me trouvais grosse alors que ce n'était pas vrai mais que pouvais-je dire d'autre face à une telle pression? Et je sais que je ne suis pas seule dans ce cas.
    Comme par magie, j'ai pu guérir en quelques mois grâce à l'aide d'une psy d'une association d'aide aux femmes victimes de violence. Avec elle, je pouvais exprimer tout ce que je ressentais sans être juger, sans qu'on me dise que je disais le contraire de ce que je voulais dire, sans qu'on me dise que mes "nons" voulaient dire "oui", que je pratiquais la politique de l'autruche.
    Alors oui, il y a des anorexiques obnubilées par le poids et la minceur en tant que tels et j'en ai croisé quelques unes en auditions de danse mais pour d'autres, c'est un moyen de s'effacer physiquement ou de hurler quelque chose qu'on arrive pas à dire. Aucun cas n'est standard, tous sont différents.
    Et puis c'est vrai que la société aime les minces mais les minces c'est une taille 38, au pire 36. En-dessous on est maigre et on s'en prend plein la gueule, peut-être même plus que quand on est en surpoids. Taille 32 ou 44 peu importe, on est des femmes donc on est juste des corps bons à être jugés, jaugés,insultés sous n'importe quel prétexte, trop gros, trop maigre, trop poilu, trop musclé, trop grand, trop petit, trop boutonneux, etc.
    Désolée d'être longue et si je paraîs sèche mais c'est un sujet qui me tient à coeur et qui me fait encore souffrir donc je peut réagir avec un peu de fougue. Ca n'est absolument pas contre toi et ton blog que j'aprécie beaucoup justement.

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  14. @ Alice

    Pas de souci, je comprends !

    Mon credo est d'écouter ce qu'ont à dire les femmes pas d'avoir raison à tout prix !

    Dans tous les cas, je ne peux que constater amèrement que la violence envers les femmes détruit silencieusement parce qu'on ne veut pas la regarder comme telle.

    En tous cas, tu as l'air de t'en être sortie et tant mieux !

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