lundi 5 novembre 2012

Des milliers de mots pour perpétuer le viriarcat

père
C'est le mari de la maman, sans lui la maman ne pourrait pas avoir d'enfants. C'est le chef de famille parce qu'il protège ses enfants et sa femme. On dit aussi papa.   

femme
C'est une maman, une mamie ou une jeune fille. Elle peut porter des bijoux, des jupes et des robes. Elle a de la poitrine.   
 
mariage
Quand on est adulte, on peut se marier avec son amoureuse, c'est quand le monsieur dit : « embrassez la mariée ».
 
 
Le mot sexe n'a pas été trouvé
 
Le mot homosexuel n'a pas été trouvé
 
Le mot divorce n'a pas été trouvé
 
...
 
Sexisme, conservatisme, natalisme, androcentrisme, le Dictionnaire des écoliers concoté par le CNDP (service de l'Education Nationale !) les propose allègrement aux enfants dès la grande section.
 
Voici le courrier que j'ai envoyé via le formulaire de contact. Si vous aussi êtes choqué.e, irrité.e, indigné.e par ce matériel qui flirte sans complexe avec la propagande viriarcale, vous pouvez vous en inspirer ou le copier intégralement.
 
Bonjour,
Je croyais être au XXIème siècle, je croyais que certaines notions rétrogrades et sexistes avaient disparu. Je ne pensais pas trouver sur un site de l'Education Nationale un dictionnaire en ligne destiné aux enfants qui véhicule une propagande misogyne et sexiste.
En effet, le Dictionnaire des écoliers disponible sur le site du CNDP (http://www.cndp.fr/dictionnaire-des-ecoliers/) propose des définitions pour le moins conservatrices et tout bonnement sexistes.

Au substantif père, par exemple, nous retrouvons la notion, officiellement obsolète depuis 1970, de chef de famille ... qui protège qui plus est (quand on sait que c'est au sein de la famille que sont subies des violences conjugales, familiales et sexuelles essentiellement exercées par des hommes, la formule est pour le moins cynique ...).

Quant à femme, il s'agit d'une maman, d'une mamie ou d'une jeune fille ... les femmes ayant passé la vingtaine sans avoir honoré leur devoir de maternité étant des êtres improbables. Mais cette vision réductrice ne s'arrête pas là puisqu'une femme est censée, toujours selon la définition qui en est donnée, porter bijoux, robes et avoir de la poitrine. A l'injonction d'une féminité strictement codée s'ajoute celle d'une masculinité privée de certains attributs ou accessoires.
Du côté du mariage, il s'agit de se marier avec son amoureusE, c'est quand le MONSIEUR dit : « embrassez LA mariéE ». Plus androcentré, y a pas. Si les petites filles ne comprennent pas qu'elles vivent dans un monde d'hommes, pensé par les hommes pour les hommes, elles ne le comprendront jamais. Sans compter l'amalgame amour/mariage qui nécessiterait un commentaire de dix pages à lui seul.
Enfin, les termes pourtant courants comme homosexuel (ne parlons même pas d'homosexuelLE !), sexe et divorce n'existent pas dans ce dictionnaire d'un autre temps.

Faut-il rappeler à des spécialistes de la pédagogie et de la langue que cette dernière modèle notre vision du monde ? Que le matériel pédagogique est soumis aux mêmes règles constitutionnelles que celles qui régissent l'ensemble de la société, à savoir l'égalité ? Que le sexisme et la misogynie sont contraires à la liberté et à la dignité des personnes ?
 
Apparemment, oui.

Edit du 05/11/2012: selon Les Nouvelles News, ce lexique serait "le fruit de l'imagination et du travail de milliers d'élèves [de maternelle et primaire] guidés par leurs maîtres." Ok, mais:

1- cette information n'est pas explicite et le dictionnaire s'appréhende comme un outil officiel ...
2- la vision de ces enfants en dit long sur leur précocité en matière d'assimilation des divisions sexuées ...
3- Cette même vision laisse deviner ce qui se dit à la maison ...
4- les encadrant.e.s de ce projet ont laissé passer et validé des définitions discriminantes et rétrogrades ...
 

samedi 25 août 2012

Nec deus nec dominus

Dans le cadre du projet d'abolition de la prostitution, Alternative Libertaire a rédigé un texte dans lequel elle maintient sa traditionnelle position abolitionniste mais questionne le volet de pénalisation du client sans toutefois avoir de position arrêtée sur le sujet.

Puisse ce billet, s'il est lu par les concerné.e.s ou celles et ceux que la question laisse perplexes, leur permettre d'appréhender la question autrement.

Idéologiquement libertaire, je partage la même aversion, la même méfiance pour le sécuritaire et le coercitif. J'en avais déjà parlé au sujet des prisons dans un vieux billet et ma réflexion était similaire à celle qui est exposée dans cet article de 2007 d'AL sur la Loi-cadre contre les violences de genre:

"...parce que punir un comportement encouragé par l’ensemble du fonctionnement social est quelque peu incohérent, particulièrement en s’appuyant sur un système carcéral d’une extrême violence, ne pouvant que pousser l’individu à reproduire cette violence (on en revient au point de l’impossible combat contre le système patriarcal par le système patriarcal lui-même). "
 
Les auteur.e.s y reconnaissent que "le volet répression est le plus difficile à défendre" et l'on ne peut que louer la cohérence de ce mouvement pacifiste, anti-répressif et pro-éducation.


MAIS ils, elles poursuivent ainsi:
"Cependant, nous vivons et luttons ici et maintenant, et c’est dans ce contexte qu’il faut rappeler que frapper ou violer est un crime, même s’il s’agit de sa compagne."
 

Le sous-titre  "Une urgence pour les victimes, un pas contre le système patriarcal" rappelle que l'urgence d'une situation nécessite parfois d'en appeler à la répression dans des situations où l'éducation a fait défaut et que la vie et l'intégrité de personnes est menacée ici et maintenant.

Concernant la prostitution, AL reconnaît pourtant qu'elle est "dans toutes ses formes génératrice de violence". Violence signifie urgence. Et violence signifie aussi violent.

Pourquoi alors protéger les auteurs de ces violences ?:

" Pour autant, nous ne pensons pas pouvoir en faire peser tout le poids sur les clients dont la morphologie sociale recouvre une réalité multiple."


Rappelons que celle des compagnons violents aussi ...

Rappelons aussi que les prostituées sont plus exposées que n'importe quel autre groupe social au viol, au meurtre, au décès précoce. Et que ce sont, la plupart du temps, les clients qui exercent ces violences.

Rappelons enfin qu'il s'agit de rapports sexuels non désirés donc contraints et que de facto cela s'apparente à un viol. Donc un délit.

C'est bien de la même oppression viriarcale, des mêmes conséquences désastreuses, fatales pour la vie de femmes, des mêmes violences que l'on parle.

Prostitution, phénomène oppressif à part qui ferait du prostitueur un oppresseur à part ?












dimanche 22 juillet 2012

Prostitution, pornographie, etc.




"Les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître"

Audre Lorde





... a fortiori quand ils sont suggérés par les maîtres eux-mêmes

dimanche 1 juillet 2012

Pourquoi je suis et reste abolo

Ca ne se fait pas en général de s'absenter longtemps sans donner de nouvelles. C'est pourtant ce que j'ai fait, veuillez m'en excuser. A ma décharge, une très très mauvaise passe comme il en arrive parfois dans une vie. Cela ne m'a pas empêchée de suivre l'actualité féministe.

Des déceptions comme l'acquittement d'Orelsan au procès qui l'opposait aux Ni Putes Ni Soumises au motif de la liberté d'expression, notion qui est règlementée en France  et trouve ses limites dans le respect de l'autre. Histoire d'affirmer que les femmes et les prostituées sont encore en-deça de l'altérité qui a au moins le mérite de valider une existence. Et dans la lignée cynique d'un machisme qui se repaît de sa légitimité, la présence conjointe aux Eurockéennes de Belfort de Bertrand Cantat et du gland sus-cité  ... Le praticien et son théoricien réunis. L'occasion peut-être pour Cantat de remercier Orelsan pour la perspective de voir un jour entrer dans le dictionnaire le grand-oeuvre de sa vie: maritrintigner, verbe du premier groupe signifiant rosser une femme de coups jusqu'à son décès au prétexte de la défense de l'honneur viril. Ca t'a quand même plus de gueule que conjugaloviolenter ou même féminicider. Bref.

Il y a eu aussi de bonnes surprises comme la détermination de Najat Vallaud-Belkacem à tenir bon sur l'abolition de la prostitution. Durant toutes ces années pendant lesquelles le sujet de la prostitution m'a mobilisée, où j'ai lu nombre d'arguments abolitionnistes et règlementaristes, j'aurais pu à l'instar de Crêpe Georgette retourner ma veste et virer défenseuse du commerce du sexe. Le seul argument qui aurait pu éventuellement avoir raison de mes convictions est justement celui qu'elle évoque: la prostitution permet à certaines migrantes d'assurer leur subsistance. Comme tous ces emplois sous-payés et pénibles qui leur échoient et qui relèvent essentiellement du domaine du care. Je rajouterais que les non-migrantes y sont confrontées également si l'on se rapporte au taux de 80% d'emplois précaires tenus par des femmes.

Sauf que la prostitution ne sera jamais un métier comme les autres, même légalisée le stigmate perdure car il est le moteur de la prostitution. Un stigmate si puissant qu'il en est devenu l'insulte la plus virulente. Et la plus nécéssaire: à qui d'autre qu'à une pute a-t-on l'autorisation tacite de faire subir des pratiques que l'on n'oserait, même en pensées, faire subir à toutes les autres.

Et sauf que c'est sur la pauvreté, notamment des femmes, qu'il faut agir et non sur la diversification des expressions de cette pauvreté. Bâtir une conviction sur un pis-aller (de la misère, il y en aura toujours) c'est céder au jeu des capitalistes cyniques. Bien sûr qu'il vaudra toujours mieux vendre son rein plutôt que de crever de faim mais est-ce pour autant qu'il faut institutionnaliser la pratique afin qu'elle se déroule dans des conditions sanitaires optimales ? Est-ce que l'enjeu premier, celui que nous ne devons pas perdre de vue, n'est pas que plus personne n'ait à vendre son cul, ses yeux ou son foie pour manger ? Dans la négative, nous asseyons la misère en légitimant ses palliatifs.

Bebertnorbert l'a bien compris, la pauvreté de ces femmes lui permet de faire des économies sur le dentifrice et de continuer à baffrer de la viande bien grasse:


" En plus, on leur rend service sinon elles crèveraient de faim dans leur pays.
Et même si elles sont pas d'accord au départ, et bien elles s'y font. Mieux que de crever de faim, non ? Au départ, c'est quand meme des crevardes et on leur donne une chance de survie.
Aucune femme non tarifée ne veut de moi, alors j'en viole une dans la rue ? Le porno, ça me suffit pas je veux du frais.
Les gros moches qui sentent de la bouche ont aussi le droit de niquer !"


Manger à sa faim sans avoir à subir un fist-fucking et ses conséquences est un droit, c'est celui pour lequel nous devons nous battre. Celui de niquer est une invention masculine que la légalisation de la prostitution entérine. La privation de nourriture conduit à la mort, la privation de sexe à la frustration. Or, la résistance à la frustration est une question d'éducation.

Une éducation qui en finirait avec la notion de virilité qui encourage l'appropriation forcée des femmes et le déni de leur consentement. Viol ou prostitution:

"Si la ministre désire ici aider les femmes en établissant le client comme bouc-émissaire, c’est finalement l’homme qui est ici visé, car derrière l’homme, on voit le client et le violeur. C’est comme si l’on souhaitait qu’il soit asexué." Sylvain Mimoun.
Que "l'homme" soit asexué, qu'on lui refuse le viol et la prostitution, seules voies manifestement de sa mâle identité, rien à faire. Je suis et reste abolo.






















vendredi 11 mai 2012

L'énigme de la femme active (et souffrante)

Celles et ceux qui me connaissent un peu savent que je me méfie des psys et de leurs dogmes essentialistes autant que d'un article progressiste dans Libé. Rien donc n'aurait dû me pousser à emprunter cet ouvrage écrit par une docteure en psychologie, Pascale Molinier, et encore moins son titre, "L'énigme de la femme active" ... Pourtant, je l'ai malgré tout présenté à l'agente en charge des emprunts de la médiathèque - on fait des trucs de ouf parfois - prête à dénoncer ici-même s'il le fallait les arguments pro-ordre hétérosexiste que j'étais persuadée d'y trouver.

Déjà embarquée dans mes certitudes que le féminisme est si marginal qu'une médiathèque de petite ville (du Sud-Est qui plus est, cf. les résultats de l'élection présidentielle dans cette région) ne peut proposer que du "Pourquoi les femmes ne pètent jamais et les hommes sont poilus", je n'ai pas compris le sous-titre "Egoïsme, sexe et compassion". Perdue, j'étais.

Pourtant, il ne m'a fallu que quelques pages, deux citations (Delphy et Mathieu) et trois respirations avec le ventre en vue de me relaxer pour comprendre que je tenais là les écrits d'une psy ouvertement féministe. Egoïsme pour les uns, compassion pour les autrEs sont les deux versants d'une éducation sexuée que pas grand monde n'est prêt à remettre en question tant la disponibilité sacrificielle des unEs arrangent les autres. Voilà dans les grandes lignes la teneur du propos. Et pour l'application, Molinier s'est penchée sur le monde du travail, plus particulièrement sur les infirmières et les stratégies qu'elles mettent en place pour pallier l'usante et quotidienne confrontation à la souffrance voire la déchéance humaines.

Un bon livre n'enfonce pas des portes ouvertes et c'est le cas. Dès le premier chapitre, une réflexion sur le traitement médiatique de la souffrance liée au travail selon le sexe surprend et fait cogiter:

"Dans l'archipel des conditions malheureuses, il en est de plus en vue que d'autres. La souffrance des hommes inquiète, dérange, interpelle. Celle des hommes pauvres justifie qu'on multiplie les "observatoires", tant sont redoutées ces flambées sporadiques dans la rage et le saccage.[...] Quant à la souffrance des hommes dominants, ce n'est rien de dire qu'elle fait recette ! Qu'on me pardonne ces trivialités, mais "le stress des cadres" a fait couler plus d'encre ces dernières années que celui des caissières d'hypermarché. 
[...]
Que les souffrances féminines soient perçues et vécues sur le plan du drame personnel et qu'elles ne soient pas contextualisées dans la perspective d'une crise identitaire collective, cela ne doit pas nous étonner. Parce que la souffrance est déjà contenue dans la définition de la "nature féminine", quelle que soit la connaissance que nous ayons, par ailleurs, des discriminations fondées sur l'arbitraire du sexe, il demeure que la souffrance des femmes est moins immédiatement saississable que celle des hommes en termes de causalité et d'injustice sociales.
[...]
Dans cette souffrance, nous entendons d'abord, et essentiellement, un problème de psychologie individuelle plutôt que l'écho singulier d'un drame pluriel."

La première chose qui frappe c'est cette constante selon laquelle tout ce qui arrive aux femmes est intrinsèque à leur nature vulnérable quand n'est pas instillée l'idée qu'elle sont les premières coupables de leur sort. Les femmes sont censées vivre des drames personnels même dans le cadre du travail qui s'inscrit par essence dans les problématiques de société ! Les violences conjugales, le viol ou l'exploitation domestique sont de la même façon sorties du cadre du phénomène social collectif. On ne sait jamais, des fois qu'il y aurait des solutions à trouver  ...

Ensuite, il y a cette psychologisation abusive de la souffrance des femmes. J'en avais parlé dans un vieux billet, "Femmes et santé mentale", le processus permet de fragiliser plus encore les femmes ainsi dotées d'une psyché naturellement bancale et de faire fi des conditions de vie honteuses dans lesquelles le système oppresseur les maintient. Le bénéfice est double, qui, soucieux de maintenir sa supériorité en créant l'infériorité de l'autre, s'en priverait ?

Dire que les femmes ont un sacré mental, constituant 80% des travailleur.e.s pauvrEs, l'essentiel du personnel des métiers improductifs (mais nécessaires), difficiles et sous-rémunérés et l'unique ressource gratuite du travail domestique, n'est pas une vue de l'esprit. Une triple peine (précarité, pénibilité, exploitation) qui ne mobilise que les vendeurs de palliatifs (magnésium, anti-dépresseurs, torchons ou bouquins pour concilier vies personnelle et professionnelle, etc.) et jamais les grands dossiers sur la souffrance au travail. 

Probablement parce que la souffrance des femmes fait partie d'un éternel féminin auquel le renoncement conduit à une réelle émancipation. La beauté de la vertu, souffrir en silence, est censée transformer ses ravages en dommages collatéraux inévitables et indispensables. Et si féminins. Pour un peu, certains en feraient, ultime argument du moment, un truc glamour et sexy.
Ah! c'est déjà fait ? Au temps pour moi.





samedi 28 avril 2012

Petit cadeau

Petit coup de mou en ce moment, alors voici un petit post avec un petit cadeau pour remercier Euterpe pour son remarquable travail sur les héroïnes et anti-héroïnes bousillées par Walt Disney et faire un pied-de-nez à la culture hétéro-sexiste qui nous vend des princes charmants dont on n'a que faire: