dimanche 21 août 2011

Du dénigrement

Me voici de retour dans la chaleureuse blogosphère féministe ! Cette pause m'a permis de prendre une distance parfois salutaire par rapport à la merde du machisme même si ma condition de féministe m'a parfois rattrapée. C'est ainsi qu'une copine m'a prêté "La plus belle histoire des femmes" de Nicole Bacharan, un recueil d'entretiens menés avec l'anthropologue Françoise Héritier, l'historienne Michelle Perrot et la philosophe Sylviane Agacinsky. Je l'ai laissé traîner sur le buffet, y jetant parfois négligeamment un oeil, puis l'ai ouvert un jour de désoeuvrement pour le laisser en plan à la page 32. Mais ce que j'en ai lu m'a suffi à m'indigner de nouveau, à ressentir au ventre tout ce que je tenais à distance respectable. La colère est là, et je m'étonne de la retrouver intacte, nourrie de ces mots parce qu'ils en précisent les contours.

Jusqu'à cette fameuse page 32, c'est Françoise Héritier qui répond aux questions de Nicole Bacharan, exposant ses théories sur le privilège exorbitant [des femmes] d'enfanter et la valence différentielle [et universelle]des sexes. Maîtriser le ventre des femmes serait devenu très tôt pour les hommes une question de survie, car lui seul peut fournir la survie symbolique, ce pied de nez à la mort, que constitue un fils. Et maîtriser nécessite d'élaborer des outils de subordination: privations de liberté, de savoir et de pouvoir justifiées par un entreprise à grande échelle de dénigrement.

"Il faut convaincre les femmes de leur infériorité, leur rappeler que si elles ne sont pas libres, c'est qu'elles feraient mauvais usage de leur liberté; si elles n'ont pas accès au savoir, c'est qu'elles manquent d'intelligence et de jugement; si elles n'exercent pas de pouvoir, c'est qu'elles sont frivoles et volontiers hystériques."
Le dénigrement du féminin a traversé les époques, les révoltes et les tentatives de régler le problème par des lois. Il est ce que Françoise Héritier appelle "le modèle dominant archaïque" et qui résiste aux modernités qui se sont succédé.


Les femmes doivent- et se doivent de- valoir moins car cela équivaut à pouvoir moins.

Alors que la question du dénigrement des femmes me taraudait, une membresse du forum féministe a posté la vidéo d'une interview de Léo Ferré dans laquelle il se vautre sans retenue dans une misogynie si viscérale qu'elle prend le pas sur la cohérence du propos.

Les femmes sont bêtes et la seule intelligence à laquelle elles peuvent prétendre réside dans leurs ovaires.

Ainsi dans La chanson du scaphandrier que Lora a déniché à ce sujet:
Mets ton habit, scaphandrier

Et dans le cerveau de ma blonde
Tu vas descendre, que vois-tu ?
Il est descendu, descendu
Et dans les profondeurs du vide
Le scaphandrier s'est perdu
Ca ne l'empêche tout de même pas d'affirmer que les pires, ce sont les femmes cultivées. Ah ? des femmes sans ovaires, donc.

Et pourquoi les pires ?

Parce qu'elles sont à même de démasquer l'imposture de leur génie auto-proclamé ?

Ou parce qu'elles savent déceler le pauvre type aigri et misérable tapi derrière ses grands mots de poète frustré ?

Ou bien encore parce qu'elles sont la preuve que les femmes sont capables, voire doublement capables si l'on tient compte des barrières, pièges, interdits et chausse-trappes qu'on a pris soin de disposer sur leur parcours ?

Ce qu'il faut en retenir en tous cas, c'est qu'imbéciles, savantes ou les deux comme vous et moi, peu importe: les femmes ont toujours le tort d'être nées femmes. Le dénigrement n'est alors plus un jugement mais une politique.

5 commentaires:

  1. oh lala lala Héloïse !
    vous vous rendez compte ?!
    vous osez descendre en flamme une idole de la gôche de tous genres !

    moi ça me fait drôlement plaisir, car comme j'ai le malheur d'être né avec un déterminant génétique lamentable, il m'est interdit de ne pas trouver admirable ce personnage libertaire... qui moi aussi m'est toujours apparu comme particulièrement misogyne... comme bien des poêtes : d'ailleurs j'aime pas beaucoup la poésie en général, donc je fais des exceptions pour quelques textes... rarement français d'ailleurs...

    Bon autrement, merci de rappeller la théorie de Françoise Héritier, le privilège exorbitant [des femmes] d'enfanter et la valence différentielle [et universelle]des sexes. après Kate Millett, ce sont elles qui m'ont fait comprendre tout le malaise, insupportable, que je vis depuis l'enfance à ne pas accepter d'incorporéïfier le modèle masculin, d'autant plus que de par des circonstances affectives particulière, seules les femmes avaient le droit dans ma famille d'être aimées, et les garçons étaient méprisés, comme rivaux par les pères, comme potentiels violeurs impuissants par les mères (ben oui, en fait ils et elles se détestaient pour des raisons inavouables du fait des paradoxes du modèle patriarcal catholique, donc s'envoyait, sur mon dos à coup de discours destructeurs et de coups de ceinture, de baffes de pieds etc...) donc voilà
    moi je dis
    le féminisme comme ça, c'est pas seulement libérateur pour les femmes. mais aussi pour n'importe qui.

    la modélisation des genres est la porte ouverte au dénigrement de l'autre, l'autre parce que pas de le même ensemble de prétendues qualités inhérentes à une nature biologique inventée par la projection culturelle, démentie par la réalité.

    la solution, est indiquée dans les Evangiles : quand Jésus propose de se comporter en simple d'esprit, de laisser venir à lui les enfants, il indique non pas d'avoir la tête vide et d'être soumis, il indique de rencontre l'autre sans projeter sur lui de valeurs culturelles indépendantes de ce que l'observation lucide de l'expérience du "vivre avec", aimer, connaître, l'autre construit.

    sauf que voilà, il manquait aux évangiles des analyses qui viendront beaucoup plus tard, des outils méthodologiques, des outils non projectifs permettant de comprendre le fonctionnement de la pensée humaine et du social.

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  2. Ca fait plaisir de te voir de retour et en forme avec ce chouette billet, Hélo ! :-)

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  3. c'est ce qu'on appelle un retour en force! ;-)

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  4. "Il faut convaincre les femmes de leur infériorité, leur rappeler que si elles ne sont pas libres, c'est qu'elles feraient mauvais usage de leur liberté; si elles n'ont pas accès au savoir, c'est qu'elles manquent d'intelligence et de jugement; si elles n'exercent pas de pouvoir, c'est qu'elles sont frivoles et volontiers hystériques."

    Pourquoi ai-je l'impression que ceci qualifie très bien les hommes de ce monde? Ils font un très mauvais usage de la "liberté", ils ne sont pas tous "intelligents", loin de là; quant à leur frivolité et leur hystérie, l'Histoire est là pour en témoigner.

    Le pire, c'est lorsque l'on entend des femmes propager ces discours, et tenir des propos misogynes, je ne sais pas si elles réalisent qu'elles se descendent elles-mêmes.

    Sinon, je pense comme toi que les femmes sont "doublement capables", non pas de façon innée, mais en vertu des obstacles et épreuves qui jalonnent leur parcours. Il faut qu'elle fassent un double travail, qu'elles redoublent d'efforts pour obtenir le même résultat: acquérir le savoir/pouvoir et en même temps se frayer un chemin parmi toutes les embûches semées par le patriarcat.

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  5. @ Paul

    Oui, je me rends compte !!! J'en ai ras-les-ovaires de cette gauche bitard que tout le monde trouve si cool. M'ont sérieusement dégoûtée et pour des décennies: les Ferré, les Lang, les Canards enchaînés, les DSK, les Polanski qui se prennent pour des types bien alors qu'ils n'ont toujours pas compris (bon, pour certains, c'est foutu la prise de conscience vu leur état !) et ne comprendront jamais que les grandes paroles libertaires et humanistes sont anéanties d'office dès que l'on considère la moitié de l'humanité non seulement comme une race à part mais comme une race inférieure tout juste bonne à être baisée (et pourquoi pas de force).

    Qu'ils se les foutent au CUL leurs grands discours pseudo-progressistes, ils ne tiennent pas deux minutes face un minimum d'observation. Des idées de gauche molle et des manières de droite dure (le fric, le sexe méprisant et violAnt, le pouvoir, la hiérarchie ...).

    Râclures.

    @ Kalista

    Moi aussi, je suis heureuse de vous retrouver ! Bon, là je suis très en colère par rapport à l'actualité mais ça ne m'empêche pas d'apprécier la réconfortante solidarité du réseau féministe.

    @ Romane

    Oui, en force féministe ! Je prépare mes boulets rouges ... Marre à la fin de cette solidarité machiste écoeurante et cette complaisance envers la misogynie.

    @ Naturalwoman

    Mais tout à fait !!! Les reproches faits aux femmes sont souvent à retourner aux envoyeurs. Quand on voit ce qu'ils ont fait de leur pouvoir, de leur liberté et de leur savoir, ça laisse songeuse. Quant à l'hystérie, no comment, le nombre de violences perpétrées par des hommes est plus que parlante.

    La double capacité des femmes relève de ce qu'on appelle la force des dominé.e.s, cet ensemble de compétences acquises dans l'adversité. Cela leur confère une supériorité à plusieurs égards (endurance, ténacité, courage, etc.) mais qui n'est pas prise en compte dans le système oppressif qui les maintient en inférieur.e.s.

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