dimanche 5 juin 2011

Le jour où le French lover disparut

Sabine Aussenac est écrivaine, poète et journaliste. Sous sa plume, le French lover redevient ce qu'il n'a jamais cessé d'être: non pas séducteur, libertin, libertaire mais violeur, violent et incestueux.

Un matin, le French lover disparut. Quelque part, entre la Grande pomme et Paris, comme un vol transatlantique qui soudain disparaîtrait des radars. Pourtant, il avait bonne presse, le French lover. Les femmes se l’arrachaient.
Le French lover, cette indescriptible particularité, cette « delikatesse » à la française, ce parfum subtil, à mi-chemin entre un défilé Dior et la baguette, croisement éternel entre l’Estaque et Les Champs, entre Les Planches et La Croisette. Le French lover, « kéké » des plages ou Président, PDG ou stagiaire, régnait en maître incontesté de ces dames…

C’est qu’on le voyait partout, et ce depuis des siècles. De la Montespan à Mazarine, il avait été de toutes les cours. Il arpentait le globe, sûr de sa superbe, Rolex au poignet et PSG au cœur. Les campings, aussi, et puis les chantiers, et même les commissariats « Ici, on baise français. » Et pourtant… Que de souffrances derrière cette appétence toujours renouvelée… C’est que le French lover cachait, en fait, des arrière-cours sordides ; la façade sentait bon les croisées d’hortensias et les apéritifs entre amis : s’y croisaient Brice de Nice et l’Ami Ricoré, au hasard de petits matins volés, de cinq à sept tendance ou de nuits parfumées au Numéro 5.

Violeur de province, mari violent et grand-père incestueux.

Mais au fin fond des jardinets ou des caves, derrière les marqueteries et les mondanités, caché par des étals ou des cartons, persistait le souffle rauque des violeurs de province, des maris violents, des oncles graveleux et des grands-pères incestueux.

Car le French lover vivait au pays où l’on n’arrive jamais sans se faire mettre la main aux fesses ou siffler devant un chantier, quand on ne terminait pas abattue comme un lapin devant une gendarmerie ou brûlée vive.

Oui : le French lover, avouons-le, ne pensait qu’au Q, au sien, à celui de sa femme, à ceux de toutes les femmes, et, si possible, sans entrave aucune.
Vous allez dire qu’encore une fois, je mélange tout, le machisme, les femmes battues et assassinées, le viol, l’inceste, la drague… Mais tout est lié, tout s’enchaîne, de ces cours de maternelle où des « grands » miment des actes sexuels aux fellations que l’on subit dans des cours de collège (mon propre fils, en CM1 dans une école catho tout ce qu’il y a de prude, est revenu il y a quelques années en me parlant du « Bâton de berger », explicité par l’instit elle-même. « Mais maman, tu ne connais pas la sodomie ? » Vous m’excuserez, ce n’est pas ma vision de « l’éducation sexuelle »…), des tournantes et des vitriolages des cités à la prostitution de luxe, des pervers narcissiques devenus monnaie courante aux blagues sordides que l’on se raconte à la machine à café ou dans les mariages, entre deux « Danse des canards ».

" Nous sommes tous des Rocco Siffredi "
Car le French lover se confond avec « La Danse des connards », avec tous ces types franchouillards qui se baladent, sans arrêt, avec une bite à la place du cerveau, qu’ils soient dans un Sofitel ou au Aldi, à la plage ou sur un stade, au concert ou au bureau.
David Vincent les a vus, ces envahisseurs à la quéquette volante, et moi aussi : ce sont les Français. Persuadés d’être les meilleurs amants du monde et les rois de la baise. Leur slogan ? « Nous sommes tous des Rocco Siffredi. »



Et nous, les femmes, nous sommes leur joujou, leur bijou, leur doudou. On a l’impression qu’ils en sont tous encore au stade de l’oralité : ils mettent tout à la bouche, et leurs doigts dans toutes les prises.

L’affaire DSK, un scandale qui fera date pour les femmes

Alors voilà : l’un d’entre eux, là, il y a quelques jours, a pris le jus. C’était couru d’avance. Et qu’il y ait eu court-circuit ou pas – l’Histoire nous le dira – le fait est là : le French lover a été pris la main dans le sac.

Alors on pourra crier, tempêter, s’énerver, pester contre les NY Cops que l’on adulait pourtant la veille dans « Les Experts » ou « NYPD Blues », on pourra se gausser du puritanisme US à grands coup d’anti-américanisme primaire et ourdir toutes les théories du complot que l’on veut – les forums sur le net sont EDIFIANTS de débilité à ce sujet… –, ce scandale politico-médiatique fera date pour les femmes de tous les pays.

Car le French lover en a pris pour son grade. Si tout cela n’est effectivement qu’une terrible méprise et/ou une affabulation, nous retiendrons que le moment est venu pour le monde de reconnaître la parole des femmes.
Femmes violées d’Afrique, femmes lapidées d’Afghanistan, femmes humiliées d’Europe, femmes asservies de France, emprisonnées, torturées, ennuyées, harcelées, femmes-objets, femmes souffre-douleur, relevez-vous : DSK vous a libérées.



Le French lover est mort. Il a disparu, remplacé par l’air hagard d’une présomption d’innocence qui semble malgré tout bien affectée.
Vive notre liberté. Vive les femmes. Vive l’amour. Et que naisse, enfin, le respect. Que l’on puisse enfin porter des jupes en banlieue et rentrer seule du cinéma, que nos enfants apprennent enfin que le sexe se vit à deux, et, si possible, pas avant un certain âge, ni attachée dans de grandes salles sombres pleines de bruit et de fureur et/ou vissé derrière un écran tout collant. C’est pas mal, un lit, pour faire l’amour. Entre personnes consentantes, et si possible post-pubères. Qu’advienne l’égalité des chances, l’égalité des sexes.
Une femme française.





24 commentaires:

  1. ben : bravo

    parce qu'en même temps qu'on écoutera les voix des femmes, on pourra peut-être parler aussi des très rares hommes qui ne vivent pas avec une bite dans la tête.

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  2. Magnifique texte !
    Depuis 15 jours nous entendons qu'il y aura un avant et après l'affaire DSK, que les choses vont changer. Je l'espère. Les mauvaises habitudes reprennent le dessus très vite, et les nouvelles habitudes ont beaucoup de mal à s'installer.

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  3. J'espère qu'il a vraiment disparu. Ce ne sera pas dommage.

    Maia elle-même s'essaie à dénoncer le sexisme comme normalité suspecte en France, dans un billet et se heurte à des réactions très négationnistes. http://www.sexactu.com/2010/07/05/linjure-sexiste-simple-vue-de-lesprit/comment-page-2/#comment-149973

    On voit par là que si le french lover est mort pour les no-frenchies, les frenchies eux ont encore besoin d'un millénaire (minimum) pour capter ce qui se passe...

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  4. @ Paul

    S'il y a réellement renversement de situation, il y a effectivement fort à parier que les hommes "qui ne vivent pas avec une bite dans la tête" trouveront enfin la reconnaissance qu'ils méritent !

    @ Hypathie

    C'est vrai mais c'est à nous, féministes, de ne pas lâcher le morceau et d'utiliser le peu de crédit qui nous est soudain accordé. DSK ne nous a pas forcément libéré.e.s (et de plus à quel prix quand je pense à ces femmes qu'il "aurait" violentées ...) mais il a ouvert une brèche qui aura du mal à se refermer.

    @ Euterpe

    J'ai laissé un commentaire. Le franchouillard (frenchie est encore trop raffiné pour sa mentalité de gros lourd) serait un indécrottable misogyne ? Le monde entier en rit et le montre du doigt mais il continue de parader tout fier sur ses ergots. Il devient carrément pitoyable et ça c'est un début de victoire sur la bêtise machiste.

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  5. @euterpe
    je suis allé lire l'article de Maïa
    ça m'a fait plaisir de voir sous la plume d'une jeune personne ce que je réponds depuis trente ans à tout le monde à propos des insultes : mon expérience, c'est que comme je suis un homme, je n'ai absolument aucune légitimer à dire ce qu'elle dit et suis donc une pauvre merde pitoyable même pas capable d'utiliser le système à son profit puisque je devrais en profiter en tant qu'homme.
    tout ça parce que quand on me renvoie dans la gueule "bat toi si t'es un homme, enculé" etc... je réponds en vouvoyant : c'est vous le salaud puisque vous êtes l'enculeur... et évidemment je tourne le dos et ne me bat jamais... je m'en vais, je ferme ma porte etc...

    Maïa a raison de conclure en disant que être une femme c'est mal, mais il y a pire dans ce monde là : c'est être un homme sans l'être. là, on est pire qu'une femme parce qu'on est un traître.

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  6. Bonjour,
    assez étonnée: je vous ai fait un commentaire, qui n'apparaît toujours pas?
    Un souci?
    Amicalement,

    l'auteur de l'article, qui sollicite de votre part la mise en ligne de ce comm, ou vous demande d'enlever ce billet de votre blog. Merci.

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  7. @ Aussenac

    J'ai fouillé un peu partout (sur ce blog et dans ma messagerie) ... pas de trace de votre commentaire. Ceci dit ça arrive assez souvent sur Blogger qui est assez capricieux. Pourriez-vous nous dire en résumé ce qu'il contenait ? Un problème par rapport au relais de votre texte ici ?

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  8. Oh ben zut alors!!
    Je vous remerciais, simplement et joyeusement, d'avoir relayé.
    Puis je précisais que ce texte ne consitituait pas du tout une attaque personnelle contre DSK-bien que ce soir, là, je sois assez agacée par le "Not Guilty" amùbiant::))-, ni contre "les hommes en général".
    Je les aime, les hommes, avec leurs fêlures, leurs erreurs, leurs déterminismes, et j'aime le combat mené par certains-hélas, souvent dans d'autres pays-, pour briser leurs propres chaînes.

    Je vous invitais aussi à revenir lire les 1000 et quelques comms d'insultes pures que le dit texte a reçues sur Rue 89-mais il a aussi été relayé par des sites intelligents comme le portail Sisyphe, au Canada-, et, somme toute, ne dit rien d'autre que la parole vraie des femmes, enfin déliée, ces jours ci...

    Merci pour votre blog, tonique et déterminé!!

    Amitiés de Gascogne, et n'hésitez pas à venir aussi lire mes poèmes sur www.poesie-sabine-aussenac.com!

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  9. @Paul-et merci du mail:

    Il y a mille façons d'être "un homme", un vrai!

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  10. On ne naît pas French lover, on le devient, par l'éducation et par la culture. Il ne suffit pas de le constater. Pourquoi ne pas pousser le raisonnement jusqu'au bout? Il faut éduquer les garçons et les filles exactement de la même façon. Le sexisme commence à partir du moment où l'on fait une différence entre les deux; ça vient très vite et déjà c'est foutu. Pourquoi ne pas interdire tout de suite l'assignation de genre? L'abolition de l'esclavage paraissait impossible à l'époque: l'économie toute entière allait s'effondrer... Soyons réalistes, demandons l'impossible. Ecoutez les cris d'orfraie sur les programmes français de SVT: la théorie queer y fait une timide incursion et les culs bénits défenseurs du patriarcat s'offusquent!.. On va encore violer longtemps au Royaume de France...

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  11. A paul : oui c'est dur d'être rejeté par les hommes en tant qu'homme. Il reste plus qu'à apprendre à s'aimer tout seul. Mais vous savez que moi et d'autres qui vous lisent on vous apprécie à fond. Vous nous enrichissez beaucoup et ceux qui passe à côté de ce que vous pouvez transmettre de chouette : et bien tant pis pour eux, ils vous méritent pas !;)

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  12. A Héloise : je propose qu'on relaie la manif de femmes de chambre, qu'est-ce que tu en penses ?
    http://www.ladepeche.fr/article/2011/06/06/1099827-dsk-manifestation-de-femmes-de-chambre-devant-le-tribunal-de-new-york.html

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  13. @ Aussenac

    Ouf! J'ai eu peur un instant d'avoir commis une bourde en relayant votre texte.

    Quant aux commentaires, en général, je ne vais même pas lire tant le machisme voire le mépris misogyne est prévisible quand les femmes s'expriment. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je ne partage pas votre enthousiasme envers les hommes. Les fêlures, les blessures et les coups, je les remarque surtout chez les femmes. Ce sont les femmes que j'aime dans leur ensemble et que je voudrais voir sortir de tous les pièges que les hommes leur ont tendus partout dans le monde. Les hommes ne font pas partie de mes préoccupations, ils ont des monuments, des pans entiers de littérature, du pouvoir partout et même toute l'Histoire pour se trouver beaux et intéressants. Quelques uns viennent ici et sont d'ailleurs les bienvenus mais je ne jouerai jamais le jeu des "pauvres hommes en déroute à cause de la méchante émancipation des femmes".

    Cette divergence mise à part c'est avec plaisir que je viendrai lire vos poèmes !

    Amicalement.

    @ Avapierre

    Vous pensiez à Boutin, non, en écrivant ce commentaire ? !!! J'ai lu en diagonale ses dernières déclarations, c'est hallucinant !
    Je reviens à l'instant du ciné où j'ai visionné Tomboy (j'en ferai un billet probablement), un film vraiment très juste sur les tourments d'une petite fille qui se sent garçon. J'ai trouvé que la réalisatrice a su montrer toute l'absurdité de l'assignation des genres. Vous qui êtes sensible à cette problématique, je vous le recommande vivement.

    @ Euterpe

    On en parle là où tu sais ? ;)

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  14. @Euterpe
    merci Euterpe, c'est très gentil de votre part
    sauf que bon
    c'est moi aussi qui rejete les hommes parce que je les trouve ... cons...
    donc je cherche les exceptions.

    et j'ai pas été rejeté que par les hommes évidemment.

    euh autrement... franchement, que certains et certaines ne me méritent pas... ben j'en ai jamais eu la prétention. moi-même leur ferme ma porte quand ça commence à me gonfler... voire sur mon site que j'ouvre pourtant facilement... jusqu'à ce que ça se gâte... me suis même demandé des fois pourquoi je le laisse encore ouvert vu la collection de commentaires stupides que dans certaines périodes je récolte et ne publie jamais...

    je rejoins avapierre : il faut absolument proposer qu'on élève les garçons et les filles de la même façon.

    mais il faut surtout dire qu'il ne faut plus éduquer personne comme un homme

    le modèle masculin doit absolument être éradiqué.

    le modèle féminin qui semble être son symétrique n'est peut-être pas le bon mais c'est une première base qu'il faut transformer car il est transformable alors qu'on ne peut rien faire à partir du modèle masculin.

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  15. Sublimes. Les femmes de chambres sont sublimes. Je pourrais visionner cette vidéo en boucle.
    Cadeau, un premier chapitre de roman, ou une nouvelle, j'hésite encore.


    Recto verso...

    Il passa non loin de l’échafaudage et, instinctivement, rentra un peu la tête dans les épaules et resserra les pans de son duffle coat marine autour de lui.
    Elles étaient là, souriantes, debout sur les planches, insensibles au grand vent, truelle à la main, et, dès qu’elles le virent, les sifflets et les appels fusèrent :
    - Alors, poupon, on se promène ?
    - Montre nous voir tes trésors, chéri !
    - T’es bon, hein, dis-le, que t’es bon !
    Il pressa le pas sans même sourire. Il détestait ces moments où il se sentait livré aux regards avides de ces femelles costaudes et presque primitives. Oh, il n’avait rien contre les artisanes, la mère de son ami Kévin était maçonne, elle aussi, gaie comme une pinsonne, et chantait les romances de leur pays d’origine à tue-tête quand elle taillait les haies du jardinet ; hormis les samedis où elle forçait un peu trop sur le curaçao et battait le père de Kévin comme plâtre, ma foi, elle était charmante et toujours prête à rendre service.
    Le pavillon était tout proche. Il se détendit un peu. Encore quelques rues, et il serait en sécurité. Depuis l’agression de Jacques, la semaine dernière, tout le quartier était en émoi, et son père, Paul, terrifié, lui avait fait la morale chaque matin. Depuis, Marielle, sa mère, surnommait affectueusement son époux « Paule mouillée », mixant son prénom avec ce vieil adage des coqs mouillés. Il le regardait partir tous les matins, son peignoir serré autour de lui, et agitait la main en souriant tristement, comme s’il devait ne jamais revoir son Maxounet.
    Pourtant, là aussi, « ça » c’était passé en pleine journée. La prof d’EPS, la grosse Madame Dupond, était absente, et la classe avait donc pu sortir à trois heures, toute étonnée d’échapper aux hurlements de stentor de celle que le lycée tout entier surnommait Adolfa.
    Les filles étaient restées devant l’établissement, appuyées sur leurs scoots, fumant et hélant les passants qui faisaient de grands détours pour éviter les crachats et les ricanements, ou étaient allées à la Merlette Moqueuse, le petit troquet tenu par le couple de lesbiennes qui paternaient leurs ados et leur servaient de grands verres de menthe et de boissons énergisantes, fermant les yeux sur les joints parfois fumés aux toilettes.
    Les garçons s’étaient éparpillés par grappes virevoltantes, certains avaient foncé au Monoprix acheter du blush et des fonds de teints, d’autres s’étaient installés sur le rebord de la fontaine de la place, et ils riaient, parlant fort et se trémoussant, les MP3 passant d’une oreille à l’autre ; Ganaël était même monté, enjambant l’eau pourtant glacée, sur l’Apollonne qui tendait gracieusement les bras au jet d’eau, et Anthony l’avait mitraillé avec son nouvel I Phone. On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans, pensait Maxime, souriant intérieurement des bêtises de ses camarades.
    Lui, l’intello de la classe, qui récitait du Rimbaude comme d’autres chantaient des chansons de Madonno, se tenait un peu à l’écart, et s’était éloigné assez rapidement, en compagnie de Jacques, l’ami de toujours. Bras dessus, bras dessous, les deux jeunes gens avaient longé la rivière en évoquant la colocation qu’ils prendraient après leur bac, quand ils « monteraient » sur Paris, avant de se séparer pour prendre leurs bus, et Maxime avait souri en regardant s’éloigner Jacques, son Jacques rêveur, blond comme les blés, dont la carnation fragile faisait penser aux lumières des maîtresses flamandes. Toutes les filles du lycée lui tournaient autour, mais Jacques n’avait d’yeux que pour Fattoum, la belle Malienne de la cité des 2000.
    Et puis la police avait sonné chez eux, vers 21 h. Paul avait ouvert la porte, le tablier encore noué autour des hanches, s’essuyant les mains sur sa chemise rose.
    - Bonjour, m’ssieur, brigade des mineures ; on pourrait voir votre fils Maxime, s’il-vous-plaît ?

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  16. - Marielle, viens, vite, s’était écrié son père en jetant un regard effrayé aux deux policières en uniforme qui scrutaient déjà l’intérieur du pavillon.
    La mère de Max avait très vite pris les choses en main. Quelques instants après, avec son efficacité habituelle, l’avocate, qui s’apprêtait justement à plancher sur les volumineux dossiers qu’elle compulsait presque tous les soirs, un verre de Whisky à la main, après avoir regardé quelque série d’action sur W9, avait fait assoir les inspectrices au salon. Paul avait couru à la cuisine, jetant un rapide regard à sa coiffure au passage, remettant un peu d’ordre à son apparence malgré la fatigue de sa double journée, et était en train de préparer deux verres de limonade lorsque la Capitaine Bordeneuve avait prononcé l’inimaginable :
    - L’ami de votre fils Maxime, le jeune Jacques Duval, a disparu. Il semblerait qu’il ait été enlevé sur le chemin de l’école. Des témoins affirment avoir vu une femme le faire monter dans une camionnette de chantier, vers 16 h 30, au croisement du boulevard Montaigna et de la rue de la Générale de Gaulle. Mes femmes ont relevé des traces de sang sur le trottoir.
    Maxime, qui venait juste de descendre de sa chambre, était resté sous le choc, blême et tremblant. Il s’était précipité spontanément dans les bras de son père, qui le serra contre lui en tentant maladroitement de le rassurer. Mais Paul, de la cuisine, n’avait rien entendu du récit des policières.
    - Jacques sera passé chez Fattoum, à la cité, non ?
    - Non, papa, quand je l’ai quitté il rentrait directement, nous voulions nous retrouver sur MSN, et je n’ai eu aucune nouvelle depuis.
    L’inspectrice reprit son récit, et commença à interroger Maxime, lui demandant si Jacques avait tenté de le contacter. Le jeune homme monta en courant chercher son portable, qu’il laissait souvent dans la poche de son sac. Effectivement, un avis de message clignotait sur l’écran. C’était Jacques, laconique. « A l’aid-nana hystero ma enlevé-prévien police »
    Le jeune homme avait été retrouvé trois jours plus tard, à moitié dévêtu, par des joggeuses. Il avait survécu par miracle, et avait perdu beaucoup de sang. La femme qui l’avait enlevé l’avait enfermé dans un cabanon abandonné au milieu des vignes et l’avait violé à plusieurs reprises, s’acharnant ensuite sur ses parties génitales et sur ses muscles pectoraux, lacérant le jeune garçon, le battant, lui faisant croire qu’elle l’achèverait ensuite.
    A moitié émasculé, hébété, roué de coups, Jacques avait réussi à se détacher durant une absence de sa ravisseuse, à présent activement recherchée. Hospitalisé, il avait déjà été entendu plusieurs fois par la capitaine Bordeneuve, et l’enquête s’orientait vers la cité des 2000, malgré les protestations de la presse et des associations, qui criaient à la discrimination.
    La petite ville était sous le choc et partagée entre colère et crainte, et deux clans s’étaient rapidement opposés. Le samedi avait même donné lieu à une confrontation violente sur la place de la Mairie : deux cortèges de manifestants s’étaient opposés, les femmes de la cité, cagoulées et masquées, encadrées par les banderoles associatives, dénonçant la récupération de l’agression par l’extrême-droite, vociférant contre les manifestantes du clan d’en face, les commerçantes et autres habitantes du centre ville, lesquelles hurlaient à l’exaspération et exigeaient des moyens de protections pour leurs fils. C’était le troisième viol depuis le début de l’année, et on était seulement en février.

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  17. La mairesse UMP était sortie parlementer avec les manifestantes, et avait répété les derniers chiffres des violences faites aux hommes au micro, oui, 13% de plus en 2010, c’était insupportable, il fallait que cela cesse. Mais il ne fallait pas tomber dans les pièges du parti d’extrême-droite de Jeanne-Marie La Brenne, non, certainement pas, et elle demanda aux manifestantes de se séparer dans le respect mutuel. Elle n’avait pas été entendue, et les groupes de casseuses avaient rapidement envahi les rues piétonnes et saccagé les vitrines ; on avait même incendié deux véhicules, et les médias s’étaient déchaînés.
    Maxime poussa la porte du petit pavillon, relevant le courrier. Une lettre de ses grands-parents paternels, adressés à « Monsieur Marielle Chaptal », le firent sourire ; pépé Marcel était décidément encore très vieille France, et persistait à écrire à son fils en adressant sa lettre au nom de sa bru. Paul s’énervait chaque fois, mais avait renoncé à demander à son père de cesser cette pratique. Le vieil homme n’en faisait qu’à sa tête, et puis quelle importance, après-tout ? Il était resté homme au foyer toute sa vie, et vivait en dehors de l’évolution de la société, n’ayant jamais compris que Paul veuille travailler au lieu de s’occuper des quatre enfants qu’il avait eu au cours de ses deux unions.
    Maxime jeta son sac Hello Kitty dans l’entrée et se servit un verre de cacao, allumant machinalement la télé. Il zappa entre « Les feux de la passion », rediffusés pour la énième fois, avec leurs héros permanentés et leurs épouses ou maîtresses avides de pouvoir, et un match de rugby diffusé sur Canal ; l’équipe de Nouvelle-Zélande débutait le Haka, et il frémit en entendant les grognements et hurlement de ces tigresses féroces.
    Vautré dans le canapé, Max regarda encore une série de pubs où de grandes blondes décolorées conduisaient des voitures plus racées les unes que les autres et où des ménagers souriants nettoyaient leur cuisine rutilante. Agacé, Maxime éteignit la télé, se jurant de ne jamais tomber dans ce schéma rétrograde ; il deviendrait journaliste, et dénoncerait cette société sexiste, où les hommes, même en cette aube de vint-et-unième siècle, subissaient encore tant de violences.

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  19. A Aussenac : La fêlure et les erreurs de DSK, Anne Sinclair les "aime", elle. Pas comme l'État de NY qui n'est ni ému ni touché, sans parler d'une certaine femme de chambre qui fait franchement sa mijaurée, celle-là ! A t-on idée de faire la fière quand on est rien ? Elle aurait du se sentir honorée, non ? On aura tout vu, je vous jure !

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  20. @Euterpe. "Le "police, non, pourquoi? Je me suis assez cassé la tête pour féminiser et/ou masculisniser-tr-s dur, car nos réflexes sont bien ancrés, comme dire "Mes hommes" quand on est flic...!!::)) Il faut trouver un autre mot!!
    Je pense -modeste, comme toujours-que mon texte possède cette cohérence linguistique et identitaire.
    Tyrannie des faibles, non. Juste démontrer l'incroyable violence du patriarcat, et les soumissions, en un regard inversé. C'est d'ailleurs amusant; j'ai écrit cette parodie quelques jours avant que Marie-Claire ne sorte son reportage sur un monde à l'envers...

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  21. @ Aussenac

    Super ! Merci !!!

    Madonno, Rimbaude, ça fait penser aux Marcelle Duchamp et consortes de Sophie Calle !!! Et c'est vrai que lorsqu'on inverse la situation on se rend compte que souffrir du sexisme tient à la fois de l'arbitraire et à peu de chose (être née avec le "mauvais" sexe) mais surtout que tout ça est intolérable.

    Perso, j'aimerais bien une version roman de cette histoire ! Le seul que j'ai lu dans le genre était assez mal écrit et je suis restée sur ma faim. Il s'agit de "Mersonne ne m'aime", écrit à quatre mains (j'ai la flemme d'aller rechercher le nom des deux auteures !).

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  22. @Sabine
    la féminisation des termes n'est pas toujours très facile en effet. mais ça marche assez bien et je dois dire que souvent on s'amuse beaucoup à trouver des sonorités plaisantes pour de nombreux termes. c'est ce que j'ai fait dans mes romans. sauf qu'en plus j'ai travailler à l'idée de ne plus s'exprimer selon les mêmes schémas que ceux de notre monde. et pour mieux faire, inventer un monde non-humain, d'aliens doux, pas humains quoi.
    j'avais aussi démarré un roman avec des humains. où les hommes et les femmes n'étaient pas incarnés selon le sexisme : ben c'est pas si facile de pondre des personnages qui ne soient ni homme ni femmes selon les modèles en cours, qui soient humains quand même, qui soient parfois apparemment des hommes comme les femmes ou des femmes comme certains hommes... mon dernier essai ne m'a pas convaincu en fait.

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  23. Bon OK j'ai cru que c'était une parodie antiféministe... c'est à cause des "fêlures et des erreurs" masculines si touchantes....elles m'ont perturbée.

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  24. @ Héloïse

    Oui, je pensais à Boutin et à toutes les associations catholiques qui se joignent à elle.

    Ca fait un moment que je cherche à voir Tomboy... Oui, bien sûr, c'est ma problématique. Mon fantasme, disent mes détracteurs. C'est faux, mon seul vrai fantasme, c'est celui qui consiste à subvertir l'ordre établi du capitalisme.
    Le synopsis de Tomboy me fait un peu penser à « Ma vie en rose ».

    Mais j'habite un coin perdu...

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