Acte I
Le chœur: «Entendez la rumeur, citoyens et citoyennes de la Cité du Nouveau Monde. Le beau Bertrand, le plus étincelant des joyaux à l'est de l'Atlantique, revient au pays de ses frères, de ses amis, de ses camarades. Son retour est déjà acclamé par la foule. Il nous arrive, invité par Sophocle lui-même, afin d'insuffler un ton rock à une nouvelle tragédie qui raconte le récit d'une femme qui se rebelle contre la domination des hommes.»
Antigone: «Mais ce Bertrand, n'est-ce pas lui l'époux de ma soeur Marie? Cet époux dont les doigts savent si bien caresser les cordes de la harpe, n'est-ce pas lui qui a assassiné ma soeur, de ses propres mains?»
Le philosophe: «Oui, certes. Mais il était au loin, à Vilnus en Lituanie. Il y affrontait des périples nombreux, et de noirs désirs le hantaient. Et n'oublie pas que Bertrand est homme sensible, et si souvent triste et mélancolique.»
Antigone: «Si je dois célébrer quelqu'un, ce sera bien ma soeur morte, et non son assassin. Cette Cité est maudite si personne ne célèbre la mémoire des femmes tuées par des hommes. Or, qui porte leur deuil, qui ressent dans son corps la douleur des blessures dont elles sont mortes?»
Le philosophe: «Les dieux ont su punir Bertrand. Les archers lithuaniens se sont emparés de lui, puis les guerriers gaulois l'ont fait prisonnier. Il a passé quatre années dans les prisons de la Gaule. Il a payé et bien payé pour son crime.»
Le choeur: «Qu'est-ce que ce tumulte que l'on entend, porté par le vent? À l'horizon, les Amazones s'arment et se préparent à marcher sur la Cité du Nouveau Monde. Les Amazones, ces premières femmes rebelles... après Lilith, Ève et... Antigone. Encore une fois, les femmes font frémir la Cité du Nouveau Monde, nous rappelant que les fées ont toujours soif.»
Le philosophe: «Ah! ces femmes venues de Lesbos, ces femmes hideuses et frustrées qui ne connaissent rien à l'art, ces femmes rongées par la haine des hommes, ces femmes qui ne connaissent que le ressentiment. Elles viennent encore nous tourmenter.»
Antigone: «Par delà les murs de cette Cité, ce sont bien elles mes véritables soeurs, mes amies, mes concitoyennes. Elles connaissent bien les hommes de cette Cité. Elles savent qu'à chaque nouvelle lune, un homme tue une femme. Elles savent que la Cité en fait toujours porter le blâme à Dyionisos ou Aphrodite, qui lui auraient fait perdre la tête, l'un avec le vin, l'autre avec l'amour. Elles savent que tous ceux qui meurent pour la Cité sont vénérés pour leur sacrifice, mais que les femmes tuées par des hommes n'ont pas droit à un deuil national.»
Le philosophe: «Il faut plus que jamais rester unis, face à la menace des Amazones. Il faut savoir préserver la distinction entre le beau, d'une part, et le ressentiment mal fondé, de l'autre. Et il convient de remercier comme il se doit Sophocle d'avoir invité son ami Bertrand, et d'accueillir ce dernier avec les hommages qui lui sont dus.»
Antigone: «Si la Cité célèbre sa venue, la mémoire de ma soeur sera une fois de plus assassinée. Je refuse de prendre part à pareilles cérémonies. Ce sont celles pour ma soeur Marie que je vais plutôt célébrer.»
Le philosophe: «Comment oses-tu te rebeller contre les lois de ta Cité?»
Le choeur: «Devant l'arrogance d'Antigone explose la colère de Melpomène, fille de Zeus, muse du chant et protectrice de Bertrand. Melpomène hait l'impudence des mortels qui osent perturber l'harmonie du chant, qui osent prétendre qu'il y a quelque chose de plus important que l'art. Mais Némesis, déesse de la juste colère et dont le visage orne le bouclier de chaque Amazone, s'élève devant Melpomène les yeux comme des volcans. "N'entends-tu pas, tonne-t-elle, la colère des femmes de la Cité, humiliées et blessées par cette nouvelle?"»
Antigone: «C'est décidé, je refuse de participer aux cérémonies de la Cité du Nouveau Monde et je vais célébrer le rituel funéraire à la mémoire de ma soeur Marie. Les femmes de la Cité lui érigeront un monument, dans le cimetière des femmes tuées par des hommes.»
Le philosophe: «Mais tu dois obéir aux lois de ta Cité, qui disent qu'un homme qui a payé sa peine peut redevenir un citoyen respectable.»
Antigone: «Je refuse de respecter cette loi, si elle signifie que cet homme sera acclamé comme un génie, tandis que la mémoire de ma soeur Marie sera abandonnée aux limbes de l'oubli.»
Acte II
Le choeur: «À l'agora, la foule s'est massée pour accueillir Bertrand et assister au spectacle mis en scène par Sophocle. Mais il n'y a aucune femme dans la foule, et la moitié des sièges sont vides. Les femmes en colère, tristes et blessées, se sont rassemblées au cimetière des femmes tuées par des hommes.»
Le prophète: «Sophocle, tu dois respecter les lois de la déesse Némesis, et non seulement celles de la muse Melpomène.»
Le garde: «Alerte! Alerte! Les Amazones arrivent. Les plus courageuses sont déjà aux pieds des murs de la Cité.
Le choeur: «Némesis pousse, au-dessus de l'agora, des nuages sombres. Elle cherche Antigone, qui ne semble nulle part. Furieux, son oncle Créon lui a interdit de sortir du logis familial et de participer aux activités publiques. Antigone, pauvre Antigone. Elle n'a pu célébrer la mémoire de sa soeur Marie, ni même participer aux célébrations du retour de Bertrand. Elle n'a pas pu rejoindre non plus les Amazones qui assiègent la Cité et qui troublent le spectacle de leurs cris de colère. Alors que Bertrand de ses doigts doux caresse les cordes de sa harpe, l'oncle d'Antigone la tue à coups de poing. Cette nuit sera celle d'une nouvelle lune. De la nouvelle tragédie de Sophocle, Antigone n'aura donc jamais entendu ces répliques:
Antigone: "Veux-tu faire plus que me tuer, m'ayant prise?"
Créon: "Rien de plus. Ayant ta vie, j'ai tout ce que je veux."
[...]
Antignone: "Je suis née non pour une haine mutuelle, mais pour un amour mutuel."
Créon: "Si ta nature est d'aimer, va chez les morts et aime-les. Tant que je vivrai, une femme ne commandera pas."»
Francis Dupuis-Déri en collaboration avec Mélissa Blais.
Texte transmis par Martin Dufresne.
c'est vraiment bien :)
RépondreSupprimeron comprend même beaucoup mieux le sens de la révolte de l'Antigone de Sophocle. Je crois que c'est très très juste. C'est la vraie Antigone.
Heu... il me semble plutôt que c'est l'Antigone d'Anouilh qu'on reconnaît là. Chez Sophocole, le propos est plus ambivalent, puisqu'Antigone représente en fait l'ordre ancien, la logique de son clan (enterrer son frère conformément à la religion). Si elle se révolte, c'est en conservatrice. Le roi Créon symbolise, lui, le droit positif, la rupture avec l'ordre ancien mythique et divin au profit d'une législation proprement humaine. L'idée est de Jean-Pierre Vernant, je crois, à voir si vous voulez approfondir cette interprétation-là du texte.
RépondreSupprimerLe texte est sympathique, mais je ne suis donc pas sûr qu'il faille y voir trop de liens avec l'Antigone de Sophocle. Avec celle d'Anouilh, par contre, on retrouve plus de l'idée d'une Antigone légitimement révoltée face à un pouvoir politique en mode rouleau-compresseur (désolé pour les raccourcis, ça remonte à loin ^^).
L'Antigone d'Anouilh, en effet, ou l'Antigone de Brecht, bref : celle qui tente en vain de résister au pouvoir tyrannique...en tout cas, beau texte. Dommage que l'histoire finisse mal.
RépondreSupprimerMais pour ce qui est de l'Antigone de Sophocle, il vaut mieux en lire la conception de Hölderlin qui distingue dans le propos de Sophocle une dialectique secrète entre culture et nature. Exemple : édicter des lois contre les lois divines existantes (lois de la cité=Cadmos=Zeus, contre le devoir rendus aux morts) c’est heurter de front les dieux et rentrer en conflit avec eux. Antigone oppose une éthique inscrite au coeur de la conscience, sans lois écrites qui apparaît comme une donnée absolue. La disctinction entre bien et mal telle que le conçoit l’ordre politique doit s’effacer devant cette éthique. En mourant, Antigone témoigne que cette éthique est supérieure à la vie. En ce sens elle n'est pas "conservatrice", elle respecte les lois supérieures là où l'homme estime qu'il n'y a personne ou rien au dessus de lui et édicte des lois qui ne tiennent pas compte de certaines règles immuables. Cette problématique est toujours d'actualité.
MOUAHAHAHAHAHA
RépondreSupprimerEn France non plus, ça ne passe pas sans réagir, les réapparitions de Cantat :
RépondreSupprimerhttp://www.lefigaro.fr/theatre/2011/04/07/03003-20110407ARTFIG00480-trintignant-cantat-ferait-bien-de-se-faire-discret.php
Oui, au fait, Cantat...moi j'avais cru lire quelque part que ses musiciens l'avaient laissé tomber ! Ce n'est pas le cas ?
RépondreSupprimeroui il a un musicien qui est parti. Le guitariste je crois, parce qu'il ne pouvait pas continuer à faire comme si de rien n'était. J'avais lu un article dans un canard local.
RépondreSupprimerSuper article de Jean-louis Trintignan. Bah oui au Canada ça passe pas (eux au moins ils sont pas arriérés comme les français ) : http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/cafouillage/42-cafouillage/1042-cantat-indecent-au-quebec-pas-en-france
RépondreSupprimer@ Euterpe : le groupe Noir Désir est dissous depuis quelques semaines, tension nerveuse trop forte pour continuer selon un des membres.
RépondreSupprimerDernière : vu sur SFR mon portail, Cantat renonce à Avignon aussi...
A Hypathie : bonne nouvelle ! Qu'il aille se cacher maintenant, on l'a assez vu. Et c'est vrai ce que dit Trintignan : ce type est juste une merde.
RépondreSupprimer@ Toutes et tous
RépondreSupprimerAntigone et Cantat vous ont inspiré.e.s ! Moi, je n'ai lu que la version Anouilh (c'est vieux d'ailleurs) et je me souviens d'avoir été marquée par la force de cette femme décrite comme maigrichonne et ingrate (par rapport à sa soeur). Ca m'a marquée parce que ce genre de personnage féminin est rare.
Quant à Cantat, c'est vrai que depuis que j'ai écrit ce billet, la polémique a démarré aussi en France à propos du Festival d'Avignon. Je comprends Jean-Louis Trintignant mais, en même temps, je me souviens avoir été déçue de sa réaction (et de celle de sa femme, la mère de Marie Trintignant, donc) quand j'ai appris qu'ils avaient signé la pétition Polanski. Pour moi, ce sont des personnes qui réagissent avec individualisme: quand la violence ne les concerne pas directement, ils tournent le dos. Autre chose aussi: rien de leur part au sujet du "je vais te maritrintigner" d'Orelsan qui aurait mérité également un "ce type, c'est juste une merde".
@Héloïse
RépondreSupprimertrès bon ajustement. Oui ils ont signer la pétition en faveur du violeur Oscarisé. Tous ces gens me débectent. J'espère que Catherine Deneuve ne l'a pas signé. Cette femme ne m'a jamais déçue et à souvent été du bon côté. Contre la loi DADVSI par exemple, et surtout elle a fait parti des 343. Et à cette époque elle mettait sa carrière en jeu. Bravo à cette personnalité, à cette femme que j'admire de plus en plus.
A gloup : tout à fait d'accord avec toi. J'ai lu une interview que Catherine Deneuve a donnée à un journal allemand et ses propos n'étaient pas loin d'être emprunt d'un féminisme tout à fait militant, ce qui m'a beaucoup étonnée de sa part car je ne me l'imaginais pas du tout comme cela !
RépondreSupprimerOn a une image de Catherine Deneuve qui ma semble bien loin de ce qu'elle est. En vieillissant elle devient de plus en plus intéressante, et milite avec beaucoup de justesse. depuis quelques années elle a fait quelque couverture d'un journal gay par exemple. Ces engagement sont toujours juste. Elle met sa notoriété au bon endroit pour soutenir de bon combats. Pour l'instant elle ne s'est pas trompée, elle reste très juste, ne la joue pas la larme à l’œil, n'en fait pas des tonnes quand elle s'engage...bref c'est une très grande Dame.
RépondreSupprimer@ Euterpe et Gloup
RépondreSupprimerConcernant Deneuve, j'ai vu son dernier film, "Potiche", qui est d'inspiration féministe. Dans le genre, j'aime bien les choix d'Isabelle Huppert mais j'avais vu qu'elle était parmi les signataires de la pétition Polanski :(