jeudi 10 mars 2011

Polyphonie

Je propose ici un billet reprenant l'article de Mona Chollet paru dans Le Monde Diplomatique de mars et qui reprend elle-même une analyse de la sociologue américaine Laurie Essig. Un billet à trois voix donc et dont les parties issues du texte originel sont en marron italique, entre guillemets et en gras pour les propos rapportés de Laurie Essig. 

L'article de Mona Chollet est paru dans la version papier du mensuel mais un extrait est disponible ici.

Refaire le monde à coups de bistouri, c'est le titre de l'article, propose de se pencher dans un premier temps sur "la crise des subprimes du corps" à laquelle la sociologue étasunienne a assisté. En effet, Mona Chollet rappelle que 85% des actes esthétiques aux Etats-Unis sont payés par un emprunt et que les organismes de crédit spécialisés dans ce domaine particulier prêtent à tout le monde, même aux plus précaires, à des taux pouvant atteindre 28% ... Cette démocratisation de la chirurgie plastique a fait de cette dernière "une entreprise massive de standardisation des visages et des corps".

L'idéologie libérale qui soutient le phénomène et qui exalte "la liberté de choix" trouve ici sa plus évidente limite. Car ce qui frappe, c'est l'impuissance: il s'agit bien de se conformer aux corps artificiels, lisses et brillants que l'on nous brandit et céder à l'anxiété, le mépris et la haine du corps réel ou de se voir éjecté.e du marché qu'il soit amoureux ou du travail, "le poste convoité allant toujours à celle ou celui qui paraît la/le plus jeune" ... Une "liberté de choix" aussi circonscrite me fait dire que le libéralisme n'a finalement jamais eu en commun que l'étymologie avec la liberté.  Et si le corps n'est plus qu'un capital et ses éventuelles modifications un investissement sur l'avenir, la chirurgie esthéthique devient la seule réponse à l'insécurité.

Conçue au départ dans une perspective de normalisation tant raciale que sexuelle (rappelant l'exercice du pouvoir par la discipline des corps mis en lumière par Michel Foucault), elle a pour mission essentielle l'accentuation de la différence des sexes. Comment ne pas s'étrangler quand des chirurgiens la présentent comme une voie d'émancipation des femmes leur permettant "d'acquérir une meilleure estime d'elles-mêmes" ? C'est confondre l'estime de soi avec le soulagement que procure le fait de "prouver sa loyauté à l'ordre dominant".

Avec une clientèle féminine à 90%, il s'agit bien des femmes dans cette triste histoire, des femmes que l'on somme de se conformer à une plastique dont la détermination des critères leur échappe et desquels la majorité d'entre elles est éloignée.

Tu n'as pas de boulot ? Et si c'était parce que tu es moche, grosse, maigre, pas assez féminine ou trop ridée ? C'est un peu l'idée en substance des journées "Action Relooking" proposées par Pôle Emploi aux demandeuses d'emploi de longue durée. Lors de leur lancement, Marie-Anne Chazel disait sa confiance dans les "trucs de fille" pour venir à bout du chômage de masse ... Voilà comment évacuer en trois coups de cuillers à pot (de crème anti-âge) toute initiative de lutte collective contre le fléau structurel de la précarité, touchant en première ligne les femmes, qui puise ses racines à la fois dans le social et l'économique. Comme le suggère Mona Chollet en conclusion de son article, faut-il s'attendre à voir émerger sous peu un crédit spécial lifting pour les bénéficiairEs des minima sociaux ?

4 commentaires:

  1. il s'agit d'aliéner le corps, le formater, afficher une soumission comme tu le dis mais c'est également un prétexte pour accentuer (caricaturer) le "féminin" (grands yeux, lèvres pulpeuses, seins rehaussés et bombés, taille marquée, fesses rebondies moulées, jambes épilées exhibées, talons aiguilles, etc) dans ce qui la ramène à son sexe mais aussi à l'enfant qu'elle doit rester (enfant sexuellement mûr en même temps) (= absence de poils, absence de rides, yeux écarquillés, joues roses, couettes peut-être, jupes plissées, bijoux fantaisies rappelant des bonbons et des sucettes, que sais-je). On est toujours dans le même schema.
    Même sans le sou les femmes sont soumises au diktat.
    Pourquoi ? Parce que le capitalisme est basé sur le patriarcat et que le patriarcat ne peut pas se maintenir si les femmes restent nature et sont les égales de l'homme.
    Beaucoup de féministes pensent qu'il suffit de marteler qu'il faut que la violence cesse et que les hommes apprennent à bien se comporter. Non. C'est beaucoup plus compliqué que cela. La violence ne s'arrêtera que lorsque les femmes s'opposeront à cette apparence qu'on veut les forcer à avoir (et qu'elles pensent choisir librement), lorsqu'elles cesseront de ménager les machos, les supporter ou de les ignorer s'ils sont trop insupportables comme s'ils allaient se transformer "en douceur". devenir raisonnable. C'est un peu comme dans une famille où se trouve un alcoolique. Tous les membres espèrent que grâce à leur patience, leur compréhension, leur affection, ils vont le convaincre de renoncer à boire. Cela ne marche évidement pas comme cela. Il faut au contraire "ne rien supporter" ! Pareil pour ces ravalements de facade. Ils maintiennent en vie un système mortifère envers les femmes qu'on a intérêt à briser. Mais cela ne rentre guère dans les têtes...

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  2. @ Euterpe

    "mais c'est également un prétexte pour accentuer (caricaturer) le "féminin" "

    La différenciation des sexes est une affaire sérieuse. Peut-être parce que l'indifférenciation fait peur. Et aussi parce que, comme tu l'évoques, c'est un moyen d'exercer un pouvoir sur les femmes (contrôle politique des corps). Alors, quand des féministes viennent parler de libre-arbitre (de s'arracher les poils, de se faire charcuter sur un billard, etc.) ça me fait rire jaune. Le libéralisme, dans son acception la plus large, a dévoyé la notion de liberté en proposant un modèle unique (le rêve américain ?)en le présentant comme un idéal de liberté. Chacun.e est censé.e faire ce qu'il/elle veut mais tout le monde fait pareil.

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  3. Uniformisation et perte de diversité : elles se ressemblent toutes, surtout celles qui passent entre les mains de chirurgiens. Ça plus le narcissisme de l'espèce humaine qui n'aura bientôt plus qu'elle à contempler ! Et puis pendant que les femmes se laissent tenter par l'impossible et l'inaccessible (un corps parfait), elles ne s'occupent pas de revendiquer l'égalité avec les hommes. Tout bénéfice.

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  4. @ Hypathie

    Oui, bénéfice non négligeable en ces temps où la mobilisation aurait besoin d'un coup de pouce.

    Les femmes à la cuisine ou dans la salle de bains c'est quand même mieux que dans les réunions où tout se remet en question ...

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