mercredi 27 octobre 2010

Politique de femmes

  "La politique c'est l'écologie au sens le plus large, et avec les femmes, toutes les femmes enfin délivrées des interdits qui les accablent. Le monde a besoin de femmes, des femmes entichées de vie, expertes en gestion du réel, plus enclines à produire, à partager qu'à prendre ou gagner, des femmes qui, pour avoir tenu bon si longtemps envers et contre tous les saccages virils, doivent savoir ce qui est bon, simplement bon, et comment on fait pour le protéger. Voilà ce que je pensais.

  Maintenant qu'on est au bord du désastre, je le pense bien plus fort encore. Ce qui inquiétait hier effraie aujourd'hui pour de bon. Désormais on ne peut plus se voiler la face. La course au profit, la lutte pour le pouvoir ont mis le feu aux poudres aux quatre coins de la planète, il n'y a jamais eu tant de pauvres, d'affamé.e.s, tant d'êtres hagards, hébétés, sans espoir ni perspective, tant de violences folles, absurdes, comme autant de suicides, ni non plus tant de riches éhontés et impudents, l'air, la terre, les eaux sont empoisonnées, d'ingérables tempêtes se déchaînent, on étouffe, on tombe malade, le nucléaire menace, l'angoisse gagne de tous les côtés quand la survie même de l'espèce apparaît compromise.La vieille politique des hommes ne parvient plus à cacher ses plaies, ses misères, ses saccages. [...]

  Si l'homme a un avenir, c'est maintenant, ici, tout de suite, et il passe par les femmes, qui s'y prennent autrement que les hommes, à la fois modestement et plus sûrement. Cela commence à se comprendre, à se vérifier, partout où elles s'unissent et retroussent leurs manches non pour quelque avenir radieux et définitivement assuré mais pour la tâche du jour, la justice, la protection de l'environnement, l'aide aux plus démuni.e.s, le partage, l'éducation, la santé. Elles ne tirent pas des plans sur la comète. Elles ne se paient pas de mots, de déclarations fracassantes. Elles vont au charbon. Elles s'informent, réfléchissent, négocient, et disent simplement ce qu'elles ont à dire. Elles travaillent, elles agissent. Elles aiment ça, agir, non pour se faire remarquer, mais pour que ça vive, que ça respire, que ça s'épanouisse, que ça se libère autour d'elles et grâce à elles.

  Franchement, en tout ce qui concerne la vie, sa protection et sa jouissance, je suis de plus en plus convaincue qu'elles s'y entendent mieux que les hommes.

  Sans doute parce qu'elles sont les premières à savoir qu'on n'est pas propriétaire de la vie, mais surtout parce qu'il a bien fallu tenir le coup de génération en génération, s'arranger, résister, ruser, endurer, et qu'elles ont plus d'un tour dans leur sac pour faire que ça continue malgré tout.

  C'est bien ce qu'on veut, que ça continue ?

  Oui, mais avec elles cette fois. Tout donne à penser, en effet, que ce sera mieux."


Annie Leclerc
décembre 2000

Extrait tiré de la préface de l'auteure à l'édition 2001 de "Parole de femme" (son ouvrage paru en 1974)

12 commentaires:

  1. Totalement d'accord avec ce texte, qui est même enthousiasmant ! Il me semble que c'est de l'éco-féminisme, lequel a été inventé dans les années 70 en France par Françoise d'Eaubonne avec "Le féminisme ou la mort",(texte non réédité, mais qu'on trouve chez les bouquinistes ou sur les sites d'enchères sur Internet). L'éco-féminisme n'a jamais pris en France ; trop pragmatique sans doute ! En revanche, il a été adopté par les américaines et les canadiennes, et bien sûr, parce qu'elles en ont besoin pour survivre, les femmes des pays en développement.

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  2. @ Hypathie

    Oui, tu as sûrement raison, cela ressemble à de l'écoféminisme. Ceci dit, je me méfie un peu de ce courant quand il renvoie les femmes à la maison sous prétexte qu'elles pourront plus aisément préparer des purées bio pour leurs enfants. Je ne connais pas la position de Françoise d'Eaubonne à ce sujet mais j'aimerais bien lire son ouvrage ... je vais fouiner (parfois sur Internet, on déniche des petits trésors).

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  3. A l'heure où on commente la politique des femmes, bien vu de publier cet article que je vais m'empresser de communiquer ailleurs.
    Question écologie, on a un super espoir en Allemagne : que la prochaine chancelière ne soit plus la néolibérale Angela Merkel mais la verte Renate Künast. Elle monte dans l'opinion, et ses chances d'être élue sont excellentes!

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  4. François d'Eaubonne est une féministe universaliste qui ne renvoie pas les femmes à la cuisine ; j'ai lu son livre déniché sur Internet et je garantis la chose. Carole Adams est aussi féministe universaliste, et elle maîtrise la dialectique comme Delphi ou Wittig, sans problème. Ne surtout pas les confondre avec la tendance actuelle backlash associée au nourrissage maternel plus "écologique" et qui peut être un piège pour les femmes, surtout en temps de crise, nous sommes totalement d'accord ! Mais l'éco-féminisme, ce n'est pas cela.

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  5. Wittig, je ne la connais pas. Et Delphy, la bonne marraine de Bouteldja, je ne l'aime pas. Je me sens trahie par cette bonne femme-là. Trahie comme toutes celles qui gagnent peu, n'auront que le minimum vieillesse, bien plus nombreuses que celles qu'elle protège et qui ne sont pas plus à plaindre que nous et qui se la jouent pauvres victimes. Qu'elles aillent au diable et s'en fassent emplafonner. (Et c'est un euphémisme, pour rester correcte).

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  6. @ Euterpe

    Ecologiste et femme ne veulent pas forcément dire féministe mais c'est déjà ça !!! Le vert monte partout en Europe et c'est vraiment réjouissant.

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  7. @ Hypathie

    Impossible de trouver "Le féminisme ou la mort". C'est bizarre qu'après sa mort, il n'ait pas été réédité. Mais je ne désespère pas de le trouver un jour.

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  8. @ Floréal

    Mais, Floréal, pourquoi tant de haine ?!!!
    Je peux t'assurer que Delphy est une féministe intègre et engagée qui a écrit des ouvrages majeurs comme les deux tomes de "L'ennemi principal" (= le patriarcat). Elle a articulé son travail de chercheuse féministe à l'observation des oppressions mais ce n'est pas autant qu'elle pratique un féminisme compromis comme on peut le trouver chez certain.e.s gauchistes à la vue courte. Le mieux serait que tu la lises et qu'on en reparle !

    Quant à Bouteldja, tu vas probablement hurler mais je comprends tout à fait la crispation des ancien.ne.s colonisé.e.s face à des Français.e.s incapables de reconnaître avec honnêteté le mal qu'ont pu faire (et font encore insidieusement) leurs pratiques coloniales. On ne peut pas dénoncer d'un côté une oppression et ne pas la voir pour d'autres. C'est d'ailleurs ce que tu reproches aux gauchistes qui font leur lutte des classes sur le dos des femmes.

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  9. Ce n'est pas aux femmes autochtones de payer les méfaits de la colonisation. Ce ne sont pas les femmes qui ont inventé ni mis en oeuvre la colonisation. Ce ne sont pas elles qui l'ont décidée, n'ayant jamais eu voix au chapitre et n'ayant pas eu le droit de vote jusqu'en 1945.

    Quand ces damné-es sociologues souteneurs d'Indigènes de la république & divers immigrés nous bourrent le mou avec leurs discours à la con de multiculturalisme tout aussi à la con, c'est à la classe moyenne qui paye pour tout le monde et sous toutes les formes qu'ils s'en prennent. Et parmi la classe moyenne qui sont les plus mal loties? Les femmes. Avec leurs salaires, leurs retraites inférieures à celles des hommes et leur taux de chômage plus élevé. C'est nous qu'ils enfoncent le plus et les premières. L'immigration fait l'enrichissement des patrons, pas celui du peuple. Les cultures venues d'ailleurs ne nous apportent rien. Elles sont une nuisance, un boulet à tirer qui nous ramènent en arrière.
    Bouteldja n'est rien d'autre qu'une ethno-stalinienne animée par la "pensée magique" relookée moderne. Et la "pensée magique" majoritaire chez les Indigènes porte un nom : islam. Idéologie qui a colonisé et esclavagisé (20 millions de personnes selon les historiens) en 14 siècles plus que ne l'ont fait les occidentaux en 3.

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  10. Je suis désolée : je sais que Delphy prend un Y au bout, mais mon composant électronique qui préside à tout cela (et qui a des court-jus apparemment !) fait que cela fait deux fois que j'estropie son nom ! Je présente mes plates excuses à tout le monde, y compris à elle ! L'ennemi Principal fait partie de mes livres indispensables à moi aussi (malgré certaines de prises de position de Delphy sur le port du voile).

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  11. @ Floréal

    Je dois reconnaître que tu marques un point: les femmes ne sont pas responsables de la colonisation, même si elles ont bénéficié indirectement des fruits de l'exploitation des pays en question. Mais dans un autre type de situation, alors que je ne suis pas fondamentalement coupable du travail des enfants chinois.e.s, je reste en partie responsable de l'achat de produits fabriqués par ces enfants.

    La colonisation, le groupe dont je fais partie n'en est pas responsable mais cela n'empêche pas de la dénoncer comme une exploitation des richesses humaines et matérielles de pays qui n'avaient rien demandé.

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  12. @ Hypathie

    Ne t'excuse pas, on comprend !

    Delphy, même sa position sur le voile j'y adhère pour deux raisons principales. Je n'ai jamais fait de billet sur la question car elle divise les féministes et je n'aime pas ça, diviser les féministes !

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