samedi 25 août 2012

Nec deus nec dominus

Dans le cadre du projet d'abolition de la prostitution, Alternative Libertaire a rédigé un texte dans lequel elle maintient sa traditionnelle position abolitionniste mais questionne le volet de pénalisation du client sans toutefois avoir de position arrêtée sur le sujet.

Puisse ce billet, s'il est lu par les concerné.e.s ou celles et ceux que la question laisse perplexes, leur permettre d'appréhender la question autrement.

Idéologiquement libertaire, je partage la même aversion, la même méfiance pour le sécuritaire et le coercitif. J'en avais déjà parlé au sujet des prisons dans un vieux billet et ma réflexion était similaire à celle qui est exposée dans cet article de 2007 d'AL sur la Loi-cadre contre les violences de genre:

"...parce que punir un comportement encouragé par l’ensemble du fonctionnement social est quelque peu incohérent, particulièrement en s’appuyant sur un système carcéral d’une extrême violence, ne pouvant que pousser l’individu à reproduire cette violence (on en revient au point de l’impossible combat contre le système patriarcal par le système patriarcal lui-même). "
 
Les auteur.e.s y reconnaissent que "le volet répression est le plus difficile à défendre" et l'on ne peut que louer la cohérence de ce mouvement pacifiste, anti-répressif et pro-éducation.


MAIS ils, elles poursuivent ainsi:
"Cependant, nous vivons et luttons ici et maintenant, et c’est dans ce contexte qu’il faut rappeler que frapper ou violer est un crime, même s’il s’agit de sa compagne."
 

Le sous-titre  "Une urgence pour les victimes, un pas contre le système patriarcal" rappelle que l'urgence d'une situation nécessite parfois d'en appeler à la répression dans des situations où l'éducation a fait défaut et que la vie et l'intégrité de personnes est menacée ici et maintenant.

Concernant la prostitution, AL reconnaît pourtant qu'elle est "dans toutes ses formes génératrice de violence". Violence signifie urgence. Et violence signifie aussi violent.

Pourquoi alors protéger les auteurs de ces violences ?:

" Pour autant, nous ne pensons pas pouvoir en faire peser tout le poids sur les clients dont la morphologie sociale recouvre une réalité multiple."


Rappelons que celle des compagnons violents aussi ...

Rappelons aussi que les prostituées sont plus exposées que n'importe quel autre groupe social au viol, au meurtre, au décès précoce. Et que ce sont, la plupart du temps, les clients qui exercent ces violences.

Rappelons enfin qu'il s'agit de rapports sexuels non désirés donc contraints et que de facto cela s'apparente à un viol. Donc un délit.

C'est bien de la même oppression viriarcale, des mêmes conséquences désastreuses, fatales pour la vie de femmes, des mêmes violences que l'on parle.

Prostitution, phénomène oppressif à part qui ferait du prostitueur un oppresseur à part ?












21 commentaires:

  1. "Prostitution, phénomène oppressif à part qui ferait du prostitueur un oppresseur à part ?"

    Bien orchestré par un système. Le client prostitueur n'est pas seul à tirer avantages de la prostitution d'autrui (états, proxénètes, communes...et le patriarcat en général). Donc, il est protégé, consciemment pour certain-e-s, inconsciemment pour d'autres, dont les réflexions sont parasitées par les stéréotypes.

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    1. Oui, très juste cette remarque. Les compagnons/pères violents ne rapportent rien (à part au système patriarcal) et coûtent de surcroît. Et pourtant, le phénomène est difficile à être reconnu, alors la prostitution ...

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  2. Le patriarcat ne sait que "surveiller et punir", il ne sait ni s'amender ni se réformer, ni non plus reconnaître le terreau culturel violent et délétère qu'il entretient envers les femmes. Les femmes (sans pouvoir) et surtout les victimes de ce système plus que tolérant envers la violence sous toutes ces formes et contre tou-t-e-s, ne sont pas responsables de cet état de fait. Ce serait du pur masochisme que de dire ou faire dire aux victimes qu'elles refusent que les coupables soient punis.

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    1. Je n'ai pas bien saisi le sens de ta dernière phrase mais concernant le masochisme, les femmes y sont éduquées très tôt (comme les hommes au sadisme). La protection et l'admiration du bourreau en est la forme la plus aboutie.

      La costumière de "L'Apollonide, souvenirs de la maison close" disait ceci récemment: "C'était amusant de voir les comédiennes se corseter les unes les autres" ...

      Amusant, je ne sais pas; révélateur, c'est certain.

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  3. C'est du déni de délit en quelque sorte. Un délit intégré dans le système économique n'en est plus un, semble t-il. C'est un peu comme d'empoisonner les gens avec des substances toxiques en les mélangeant aux aliments, c'est un délit toléré parce qu'il fait vendre. Ou comme pour l'affaire du Médiator. On a tué des gens "pour leur bien" et l'industrie pharmaceutique y a gagné. Du moment que l'économie en profite...(elle en profite au moins par tous les produits dérivés de la prostitution (films, livres, oeuvres d'"art" etc ayant pour thème la prostitution. Quelle perte pour notre culture si cela s'arrêtait, non ? (c'est de l'ironie)) Bref c'est bien la schyzophrénie de tout le système qui s'illustre là.

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    1. Oui, l'argent efface la faute semble-t-il. Il va falloir une sacrée mobilisation pour contrer la puissance de l'argent combinée à la violence d'un patriarcat menacé dans ses fondements ...

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  4. Je note également cette phrase:
    "La place du client dans le système prostitutionnel fait de lui un maillon, il ne peut en être la source."
    Un sacré gros maillon, alors. Imaginons que l'on ai dit la même chose à propos des violeurs. Ce genre de phrase a une sacré tendance à minimiser la responsabilité du client, et de la conscience qu'ils ont de leur actes.

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    1. Oui et de toutes façons tout est bon pour déresponsabiliser les prostitueurs: la société, les pulsions irrépressibles, la misère sexuelle, la mocheté, l'inaptitude aux relations humaines, etc.

      S'ils arrêtaient de consommer, la prostitution n'existerait plus ... comme quoi !

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    2. "s'ils arrêtaient de consommer, la prostitution n'existerait plus..."
      ben, oui en partie
      mais ça suffira pas
      moi je pense qu'il faudrait les éduquer radicalement autrement, de sorte qu'il ne se pensent pas comme des bêtes sexuelles, n'ayant d'autre identité que par leur activité sexuelle et que donc copuler ne soit plus un besoin irrépressible ni plus une obligation.
      et encore
      j'suis pas sûr que ça suffirait...

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    3. Vous voulez dire que punir les clients ne suffira pas, sûrement (moi, je parlais de l'offre inexistante s'il n'y a pas de demande). Je suis d'accord avec vous et je tiens beaucoup au volet éducation de cette mesure. Une éducation anti-sexiste grâce à laquelle tout le monde y gagnerait.

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    4. je ne veut pas dire simplement que la punition des clients est insuffisante, je veux dire que l'état d'esprit général de consommation doit faire partie de ce que vise aussi la ré-éducation globale des gens à non seulement se concevoir sans référence au sexe, mais encore moins à l'utilitarisme de tout acte individuel qui doit être avant toute chose être conçu comme acte social.

      il faut non seulement pénaliser lourdement les clients et toute forme de domination sexualisée
      mais encore
      pénéliser l'état d'esprit consummériste, cupide, accumulateur
      il faut pénaliser toute conception sexiste et individualiste

      bref
      criminaliser le sexisme, l'essentialisme et le capitalisme

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    5. Bref, super bien dit !

      Et j'aurais rajouté le libéralisme qui ne fait que cautionner et exacerber l'esprit consumériste et individualiste dont vous parlez. Le libéralisme, c'est chacun sa merde dans une société où les dés sont pipés par les puissants.

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    6. Attention Héloïse, parce que pour Paul moi je suis une essentialiste (donc une grave criminelle) parce que j'ai osé un jour trouver qu'il ne pouvait pas parler à la place d'une femme n'en étant pas une (pas plus que moi qui ne suis pas un homme comme tu le sais je ne peux parler à la place d'un homme).
      Je n'applaudirais pas avec un tel enthousiasme à ta place à ses appels à la criminalisation à tout crin. A moins que tu penses comme lui qu'un homme peut parler à la place d'une femme, ce qu'ils font d'ailleurs tout le temps et que pourtant nous autres féministes nous leur reprochons de faire. Il me semble que nous voulons parler de nous nous-mêmes ! Si c'est cela l'essentialisme alors je ne vois pas où est le crime.

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    7. Effectivement, l'essentialisme n'a rien à voir avec l'illégitimité des hommes à parler à notre place. Et il n'y a rien d'essentialiste à mes yeux à affirmer que l'éducation sexuée induit forcément des points de vue différents. Sans compter les conditions de vie des uns et des autrEs qui ne sont pas pour l'instant égalitaires. Un homme qui défend la prostitution, par exemple, sait très bien que l'institutionnalisation de celle-ci n'aurait pas le même impact sur son quotidien que pour une femme.

      Ceci dit, j'aime bien Paul, il n'a jamais fait preuve de paternalisme déplacé ici. Donc, je suis bien embêtée de vous voir vous accrocher ...

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    8. Ben moi je l'aimais bien aussi et je n'avais pas un seul instant l'intention de le blesser en lui expliquant qu'il n'était pas une femme et donc ne pouvait affirmer savoir exactement ce qu'elles ressentaient. Or pour lui ca a été la preuve sine qua non que j'étais une (sale?) essentialiste (donc une (affreuse ?) criminelle).

      Je ne suis en rien responsable d'une telle opinion de sa part mais maintenant quand je le lis dire "Sus aux essentialistes!" je suis son regard et il est tout bonnement dirigé vers moi.
      S'il doit être juge de qui est essentialiste ou ne l'est pas pour le/la "criminaliser", c'est craignos, là.

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  5. J'aimerais savoir ce qu'il en est réellement en Suède, mais le rapport Bousquet-Geoffroy affirmait qu'il n'y a pas eu d'incarcération en dix ans si j'ai bonne mémoire. Je regrette de n'avoir guère entendu parler jusqu'ici de mesures financières en vue d'éviter aux personnes démunies de recourir à la prostitution de survie.

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    1. Oui, il me semble aussi que les condamnations effectives sont nulles ou quasiment en Suède, le pays ayant choisi une démarche plus dissuasive que réellement répressive.

      Quant aux mesures financières dont vous parlez, s'agit-il d'éviter à des non-prostituées d'en recourir à la prostitution ou d'aider financièrement les prostituées les plus précaires ? Dans le premier cas, le problème est vaste et relève de la problématique de la précarité des femmes, dans le second, cet aspect est prévu dans le projet me semble-t-il.

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    2. J'ai lu que la prostitution s'était déplacée juste au-delà des frontières dans les pays limitrophes, sur des bateaux croisant au large de la Suède et sur internet.
      Il parait aussi que l'interdiction du racolage passif en France a entraîné l'ouverture de nombreux bars à prostituées en Belgique le long de la frontière française. Des autobus partiraient tous les week-ends de la région parisienne vers ces boîtes belges. Si c'est vrai, le problème n'est pas résolu mais occulté.

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    3. Le problème de l'achat de prostitution est évidemment mondial, mais ce n'est pas parce que des criminels contre l'humanité ont pu fuir au brésil pour se cacher qu'il fallait ne pas créer la notion juridique de crime contre l'humanité, ou non? Il est possible de faire pression à l'échelle nationale et internationale.

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  6. C'est tout un, des personnes se tournent vers la prostitution quand elles n'ont pas de quoi "honorer" leurs dettes, c'est-à-dire les frais même les plus élémentaires et celles qui souhaitent abandonner la prostitution sont aussi rattrapées par la question de l'argent. C'est central, donc ne s'interroger que concernant les personnes déjà en situation de prostitution, c'est éluder le nerf de la guerre.

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    1. En effet, l'argent est le nerf de la guerre. Il y a peu de temps, je lisais un article disant que les aides comme le RSA, les APL, lorsqu'elles sont accordées d'une bonne manière (non restrictive pour les personnes en dehors du marché du travail ou en situation précaire), et lorsqu'elles augmentent régulièrement(puisque le montant du RSA est extrêmement faible par rapport à d'autres pays européens par exemple) sont également un bon rempart contre le fait de devenir prostitué-e. Il faut également que le fait d'avoir été récemment ou d'être prostitué-e puisse ouvrir des droits au logement (un peu comme le fait d'être hébergé). Et puis il y a le gros problème de la stigmatisation des employeurs par exemple, qui ne supportent pas les "vides" dans les CVs. Cela, la pénalisation des clients ne doit bien sûr pas l'occulter (mais le fait malheureusement de facto, puisque les réglementaristes sont trop occupé-es à empêcher son institution, et les abolitionnistes à essayer de défendre ce projet).

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