Sandra D.Lecoq FWS, tapis laine et acrylique |
C'est probablement la reconnaissance de l'Art Brut qui a permis l'émergence de l'Art Textile: autoriser tout médium, à condition qu'il soit utilisé à des fins d'expression, à pénétrer le monde si codifié de l'Art a ouvert les champs du possible.
Les travaux textiles ont longtemps souffert de n'être dévolus qu'aux femmes. Et si exceptionnellement ils étaient menés par des hommes, ils en devenaient, sinon un art reconnu, du moins un artisanat supérieur. Les tapisseries des Gobelins par exemple ont été (sont encore) commandées pour orner les lieux publics et l'intervention d'artistes, comme Fernand Léger ou Cézanne à leur époque, est courante.
Qu'ils percent enfin, majoritairement représentés par des femmes, est une bonne nouvelle à plus d'un titre.
Parce que les techniques souvent complexes de brodage, tissage, crochetage, dépassent ainsi l'utilité domestique qui a précipité leur déchéance avant même toute reconnaissance. Elles deviennent média de création et anéantissent de facto l'image d'activité imbécile que l'arbitraire masculin avait construite.
Parce que sont mises en exergue les valeurs qui sous-tendent ces activités: minutie, précision, adresse, créativité, patience et humilité. En ces temps cyniques où l'on s'impose dans de grands formats vaniteux et récolte le succès sans vraiment donner de sa personne, ce mouvement met en perspective nos cultures virilotoxiques.
Parce que manipulés, travaillés, détournés et sublimés, le fil, la laine ou le coton promettent autant que la peinture.
J'ai parcouru quelques unes des oeuvres de ce mouvement naissant et, outre Sandra D.Lecoq dont l'une des oeuvres illustre ce billet plus haut, j'ai retenu deux artistes.
Cathy Burghi qui brode dans une apparente naïveté:
Feutre et fil sur tissus,40x40cm Cathy Burghi 2012 |
Série-notre sang- fil sur toile 20x20cm 2012 Cathy Burghi |
Judith Scott, artiste poly-handicapée aujourd'hui disparue, qui a tissé des cocons surprenants et émouvants au moyen d'une technique assez particulière qui en a laissé plus d'un.e pantois.e:
Photo: Léon A.Borenzstein |
En espérant que cette fragile reconnaissance traversera le temps et résistera à la sur-représentation déjà prégnante des très rares hommes qui choisissent ce moyen d'expression.
C'est touchant... J'avais déjà entendu parler de Judith Scott, d'ailleurs. Ce medium perçu comme activité de second choix est tout de même assez propre à nos cultures, il me semble. Mais il me semble qu'il suffirait que ces artistes se fassent réellement connaître pour que certaines vocations masculines commencent à éclore... No comment !
RépondreSupprimer@ Chaminou
RépondreSupprimerOui, elle est super touchante. Un bel exemple d'art-thérapie car son activité de création lui a permis de dépasser en partie sinon son handicap du moins la souffrance qui lui est liée.
Tu as raison et j'ai failli l'écrire: si le "filon" est bon, certains n'hésiteront pas à l'investir et à occuper, volontairement ou pas, le devant de la scène. Le lien que j'ai publié est parlant: les artistes en Art Textile sont quasiment tous.tes des femmes et c'est un homme qui reçoit le prix ...
Dans le mouvement du Bauhaus (début du XXème siècle) très peuplé d'artistes mâles, quelques femmes étaient tolérées qui travaillaient sur des tissus dans des ateliers de tissage et qui ont créé des œuvres magnifiques. Et en 2005, j'ai vu en Centre Bretagne une œuvre de Béatrice Dacher "Les Habitants" : 3 pièces de lin bis de 10 M de long chacune, brodées au point de tige avec des fils bleu lin dégradés, par des brodeuses du Centre Bretagne avec les prénoms et noms des registres paroissiaux du coin, sous la direction de l'artiste. Cela rappelait la tapisserie de Bayeux, cette toile brodée façon BD sur les exploits de Guillaume le Conquérant. Cette pièce de lin de B Dacher a été exposée en Chine, ce qui a beaucoup étonné les brodeuses locales qui avaient de mal à comprendre que l'art est mental et universel et qu'elles avaient fait autre chose que de l'artisanat qu'elles voulaient garder pour elles, localement. Pour en avoir un aperçu, suivre les liens : perso, je garde un magnifique souvenir de cette oeuvre au moins aussi universelle qu'une création artistique d'hommes.
RépondreSupprimerhttp://www.collectifr.fr/reseaux/beatrice-dacher
http://www.collectifr.fr/reseaux/dossier.cfm?id_album=c9924134-db98-3c16-25af308db5048df6
(on peut faire défiler les diapos en cliquant sur la première photo).
Bon article, GG ! :)
RépondreSupprimerOui, il y a aussi l'oeuvre magnifique de Gunta Stölzl (1897-1983), également une femme tolérée au Bauhaus de Dessau dans les années 1920.
RépondreSupprimerSi on tape Stölzl, Gunta sur google images on voit les splendeurs qu'elle a réalisées (tableaux tissés).
Mais, évidemment, qui la connaît ?
Bonne idée ce billet sur les oeuvres textiles de nos créatrices !:)
@ Hypathie
RépondreSupprimerEn effet, c'est fascinant. Par contre, le fait qu'elle n'ait pas sollicité les hommes aussi pour broder est vraiment dommage. Du coup, ce sont des femmes qui sont chargées de perpétuer la mémoire de ces hommes dont le nom apparaît. Bon, on voit un petit garçon à un moment: signe des temps qui changent ?
@ Healcraft
J'ai bien reçu votre message privé. Le mieux effectivement serait de vous reposer car me faire part de la taille de votre pénis alors que je ne vous ai rien demandé et que, de surcroît, je n'en ai strictement rien à faire, relève soit de la grosse fatigue soit d'un problème que je vous invite à prendre en compte.
@ Euterpe
Oui, le Bauhaus est souvent cité en référence dans l'Art Textile. Gunta Stölzl, je ne connaissais pas. Son travail en termes de couleurs et de compositions me fait penser à celui de Sonia Delaunay (quasiment la même époque)qui, elle, a eu la chance d'être sauvée de l'oubli. Parce qu'elle était mariée à un peintre reconnu ? ...
Il est pourri, ton blog
RépondreSupprimerVu, un mécanisme de défense : projection!
Supprimervous dites : Parce que sont mises en exergue les valeurs qui sous-tendent ces activités: minutie, précision, adresse, créativité, patience et humilité. En ces temps cyniques où l'on s'impose dans de grands formats vaniteux et récolte le succès sans vraiment donner de sa personne, ce mouvement met en perspective nos cultures virilotoxiques.
RépondreSupprimerça me parait essentiel dans ce que révèle la problématique de cet art en effet.
mais par ailleurs, la question de la notoriété soulève aussi celle de l'orgueil : fait -on de l'art pour la passion de le faire, le plaisir, l'amour du "beau" tel qu'on le ressent, le besoin de s'exprimer, ou l'espoir d'une reconnaissance sociale et égotique particularisée ?
ça me turlupine, c'est à dire que ça me gratte les méninges sans que j'arrive vraiment à tirer le fil de la question. donc je n'ai pas de réponse.
ce que je note effectivement, c'est la récupération systématique au profit de pratiquant masculin de tout avènement d'une forme d'expression artistique... genre, dans un ballet, dès qu'il y a un homme, même s'il n'est pas en vedette, on souligne tout de suite la chose par tous les biais... même si le gus n'a pas particulièrement du talent... c'est un piège pour celui qui voudrait vivre son plaisir de façon simple et humble, sans être jugé parce que "hom". merde y'en a marre d'être un zhom... et pire encore de l'essentialisme sexiste qui est la cause du truc...
@ Paul
RépondreSupprimerJe crois qu'il y a autant de raisons d'acquérir de la notoriété que d'artistes, non ? Cela pose aussi la question de l'intégrité. Un.e artiste intègre recherche le succès pour vivre de son activité d'une part mais aussi pour être sûr.e que son message sera reçu par le plus grand nombre.
Après il y a celles et ceux qui recherchent une restauration de leur estime blessée à un moment de leur vie, celles et ceux avides de gloire (et donc de fric ...). Mais dans l'ensemble, concernant les plasticien.ne.s, quand on voit qu'elles/ils persistent à créer malgré des conditions de vie archi-précaires, on ne peut plus douter de l'intégrité de leur démarche.
La démarche de création devrait être gratuite, sans arrière-pensée mercantile, mais les contingences matérielles biaisent tout. Il faut encore gagner sa vie pour pouvoir la vivre.