lundi 8 novembre 2010

Permis d'exploiter

Spot radio, campagne contre les violences conjugales:


Lui: Mmmmh, ça sent bon, qu'est-ce que tu nous as cuisiné ?

Du bruit nous parvient en filigrane sonore, probablement une dispute entre les voisins du couple.

Elle: Des tomates à la provençale.

La conversation semble s'envenimer: Sale pute, bonne à rien, etc.

Lui: Tiens, elles ne sentent pas comme d'habitude, tu as mis du basilic ?

Grand fracas, cris, bris d'objets à côté, le voisin tabasse sa femme.

Le spot se termine sur une exhortation à signaler les violences conjugales dont nous serions témoins d'une manière ou d'une autre.

Bien. D'un côté un super mari, attentionné et tout, qui s'enquiert de savoir quel condiment vient modifier l'habituelle recette de sa dévouée petite femme, le bonheur conjugal quoi; de l'autre un gros salaud qui bastonne et insulte la sienne sans autre forme de procès (peut-être a-t-elle oublié, cette andouille, le basilic dont il raffole sur les tomates ...).

Voilà bien le genre de campagne dont les femmes se passeraient. Car sublimer et légitimer une violence, c'est-à-dire l'ignoble exploitation domestique qui précarise, surmène et use, pour en dénoncer une autre c'est nous faire croire qu'il y a des oppressions condamnables et d'autres qui sont emplies de bienveillance et de poésie. 

C'est couper le lien évident qui existe entre ces deux formes de violences de genre: les femmes au monde pour les hommes, peu importe leur utilité, exutoire ou bonniche.

Et surtout, c'est faire entrer dans nos cervelles de femmes, une bonne fois pour toutes, que nous sommes au service du mâle, comme ça, gratuitement, que c'est ça notre bonheur et que nous devons nous estimer heureuses d'avoir un compagnon tellement formidable et magnanime qu'il ne nous raye pas la gueule à chaque fois que nous modifions maladroitement, par oubli ou par audace, la recette des tomates à la provençale.

4 commentaires:

  1. Dialectique impeccable ! Et rôles indépassables. Bien vu.

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  2. Et j'ajouterais qu'il y a encore un autre message subliminal : surprends ton mari, change tes recettes pour ne pas qu'il s'ennuie et te reproche ta cuisine. C'est un spot d'une grande tartufferie parce qu'il fait seulement semblant de lutter contre la violence faite aux femmes mais en réalité il la légitimise. IL dit : "voyez la femme qui fait des efforts et celle qui n'en fait pas. L'une est bien traitée, l'autre prend des coups". Après on fait comme si c'était un spot qui dénonce la violence, alors qu'insidieusement, il est EN TRAIN DE la justifier ! Un spot pervers, en fait.

    Cela me fait penser à une affiche que j'ai vu en Allemagne et qui m'a tellement agacée que je n'ai pas regardé de plus près ce qu'elle cherchait à vanter exactement. On y présentait une femme armée d'un revolver en train de viser sur le spectateur de l'affiche avec ce message "la femme est en danger". La représentation est strictement à l'opposé de la sentence. Ce procédé génère un sentiment d'irritation et de colère sans que le spectateur ne puisse parvenir à en déceler la raison. Mais les pubeux, qui sont sans scrupule comme on sait, ont réussi par ce moyen méprisable à "accrocher" le passant. Car la perversion "accroche" ne serait-ce que parce qu'elle déstabilise.

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  3. @ Hypathie

    Oui, un spot quasiment inattaquable car censé prendre le parti des femmes.

    Et re-oui, les rôles qu'on nous a attribués semblent bien indépassables. Cela paraît tellement naturel à tout le monde que ce soit encore et toujours les femmes qui cuisinent (+ le reste) que personne, ou presque, n'a dû être choqué par la rhétorique de cette campagne. Le clou est bien enfoncé, bravo !

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  4. @ Euterpe

    "Et j'ajouterais qu'il y a encore un autre message subliminal : surprends ton mari, change tes recettes pour ne pas qu'il s'ennuie et te reproche ta cuisine."

    Très juste: il y aussi le côté "sois inventive dans tes corvées". Bah! ouais, tant qu'on y est.

    Quand on pense que les violences sont souvent liées à des questions domestiques (Cf. l'oeuf mal cuit, dont parlait Alice, qui a donné lieu à un meurtre ou la pub sur le Cantal oublié par Chantal), ce spot fait froid dans le dos ...

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