jeudi 31 mars 2011

iXe

Une nouvelle maison d'édition est née: iXe.

Résolument tournée vers le féminisme radical et lesbien, elle propose des collections publiées sous ixe: racine de ixe pour les textes radicalement féministes, ixe' prime pour les fictions ou encore xx-y-z pour observer les brouillages du genre.

Pourquoi iXe ? Le mieux c'est de la laisser nous l'expliquer:

La lettre sous laquelle elle s’affiche exprime l’anonymat, le classé secret ou classé obscène, l’indifférenciation et la multiplication, le sexe, la sexualité, la potentialité de la sexuation. iXe endosse cette polysémie troublante en se plaçant par jeu sous le signe neutre de l’algèbre:



[iXe = l’inconnue de l’équation]



Elle s’attribue la marque du genre pour la poser en question.

Pour l'instant, trois livres seulement sont au catalogue. Mais, avis aux inconditionnelles de Monique Wittig, la maison vient de faire paraître en co-édition avec PUL (non, pas P.O.L !) un ouvrage inédit de l'auteure, Le chantier littéraire.

Il est certain qu'avec une telle référence en guise de lancement de collection, cette maison d'édition, à la demarche peaufinée pendant près de vingt ans, affiche une exigence artistique et idéologique à suivre de près.


mardi 29 mars 2011

Loisirs des jeunes: l'hégémonie des garçons

Bon, ma pause n'aura finalement duré qu'une semaine: je suis une indécrottable féministe qui, telle un professeur Rollin, a toujours quelque chose à dire ! Et je ne résiste pas à la nécessité de vous faire partager cette étude trouvée sur le site du CNRS - Institut des Sciences Humaines et Sociales.

Interrogeant sous la variable du sexe, les pratiques de loisirs des enfants et adolescent.e.s et les croisant avec les politiques publiques territoriales en la matière, les chercheur.e.s, en charge de cette étude menée depuis 2009, en ont retiré plusieurs enseignements:

- "l’offre de loisirs subventionnée s’adresse en moyenne à deux fois plus de garçons que de filles, toutes activités confondues", ce qui en clair signifie que les politiques budgetaires des collectivités locales privilégient les aménagements destinés aux garçons. Les chercheur.e.s appellent ça à juste titre du "gender budgeting";

- on observe "trois fois plus de pratiques non mixtes masculines (foot, rugby, rock) que de pratiques non mixtes féminines (gym, danse)", le loisir restant, comme dans le modèle social multiséculaire que nous trimballons, à la fois une prérogative masculine et un terrain de différenciation sexuée de premier choix; 

- la donnée la plus significative est "le décrochage massif des filles à partir de l’entrée en sixième : elle désertent alors les centres d’animation, les maisons de quartiers, ne viennent plus aux séjours vacances organisés par les municipalités, disparaissent peu à peu des équipements et espaces publics des loisirs des jeunes". Les filles laissent tomber, probablement peu désireuses d'en découdre avec la sur-représentation masculine et ses corollaires sexistes et conscientes que la place qu'on leur attribue désormais est à l'intérieur;

- les élu.e.s interrogé.e.s dans le cadre de cette étude ont déclaré vouloir, à travers ce déploiement massif et unidirectionnel de moyens, "« canaliser la violence des jeunes dans des activités positives », sans préciser quel est le sexe des jeunes incriminés" ... la violence n'ayant jamais de sexe selon ses observateurs, un vrai tabou ... Sans compter que les filles sont ainsi punies de se tenir plutôt mieux que leurs frères;

- pourtant, soulève l'auteur de l'article "l’hypersocialisation des garçons dans les espaces publics par le sport et les cultures urbaines produit probablement l’effet inverse de celui escompté, valorisant les conduites viriles et leurs avatars, le sexisme et l’homophobie", l'effet de groupe étant un puissant vecteur de comportements agressifs et discriminants;

- ces conclusions soulèvent l'hypothèse déjà évoquée que "cette éducation différenciée des garçons et des filles à l’usage de l’espace public [préparerait] l’hégémonie masculine dans la ville et le sentiment d’insécurité pour les femmes qui en découle" confortant les garçons dès l'enfance dans l'idée que l'au-dehors leur appartient et confirmant aux filles qu'elles n'y ont pas leur place.

Un phénomène qui est loin d'être une fatalité et contre lequel s'est engagée Hollaback France, dont l'initiative bienvenue a récemment été présentée dans la blogosphéministe.

lundi 21 mars 2011

Salut les copines

... et les copains !

Fatiguée et finalement plus affectée que ce que je croyais par tout ce qui a pu se dire d'insanités gratuites sur le féminisme et les féministes ces derniers temps, particulièrement dans la blogosphère où la malhonnêteté intellectuelle fait loi (et recette), je ferme provisoirement ce blog. Pour me retaper ou passer à autre chose, auquel cas je le fermerai définitivement.

J'ai choisi de laisser les commentaires ouverts, au cas où certain.e.s souhaiteraient échanger à propos d'articles postés, mais je me réserve le droit de les fermer si cet espace devient le bac à sable de masculinistes, antiféministes ou trolls de toutes sortes.

Pour partir le coeur léger, j'ai choisi cet hymne féministe-lesbien de nos aînées du MLF, La guerilla, trouvé dans un numéro du Torchon brûle:


Nous, on fait l'amour et puis la guerilla
l'amour entre nous, c'est l'amour avec joie
mais pour faire l'amour, y a pas d'endroit
partout y a des hommes et partout on se bat

On prendra les usines, on prendra les jardins
on cueillera des fleurs avec nos petites mains
et sur nos poitrines on aura du jasmin
et on dansera en mangeant du raisin

On prendra les zoos, on ouvrira les cages
vivent les oiseaux et fini le ménage
on se balancera au cou des girafes
l'amour entre nous, aux hommes la guerilla

On prendra le soleil, on le mettra dans le train
on aura des casquettes de mécanicien
on ira en Chine dans le Transsibérien
et puis on s'en fout, tout ce qu'on fait est bien !

samedi 19 mars 2011

La fabrique de(s) filles

Deux ouvrages ont été publiés récemment sur le même thème et sous le même titre quasiment.

La fabrique des filles de Rebecca Rogers et Françoise Thébaud:


La fabrique de filles de Laure Mistral:




J'ai emprunté le premier à la bibliothèque, il est ce qu'on appelle un "beau livre" et retrace par l'intermédiaire de documents d'époque très émouvants, cahiers d'écolières, manuels scolaires, photos ou cartes postales, l'éducation stéréotypée que l'on réservait aux filles. On y apprend, entre autres, que l'école de Jules Ferry avait surtout pour but d'instruire les futures mères/épouses et de sortir les femmes du joug clérical.

L'instruction pour mieux servir les intérêts masculins qu'ils soient personnels ou politiques ... Une démarche profondément antiféministe qui s'est retournée contre ses initiateurs puisque les femmes ont pris goût aux études et ont bien senti qu'il y avait là matière à émancipation.

Le livre s'achève sur la période des années 70. Les femmes ont fait du chemin et s'instruisent désormais pour avoir un métier. Le sujet femme est né. Mais il serait simpliste de croire, comme les auteures le laissent penser, que la société a dès lors renoncé à fabriquer des épouses acceptables et des mamans parfaites. Collégienne dans les années 80, je me souviens des cours d'EMT (Education Manuelle et Technique) où l'on m'a appris à coudre, cuisiner et même faire la vaisselle !

Et l'ouvrage de Laure Mistral, comme une prise de relais tacite, est là pour nous rappeler que la fabrique n'a jamais cessé de fonctionner. Partant des fameuses années 70 où la voie a paru toute (bien) tracée pour les femmes, elle dresse un constat documenté sur les nouveaux moyens d'enfermer les petites filles, les futures femmes, dans l'assujettissement. Amnesty International recommande ce livre comme une démarche de déconstruction des stéréotypes, démarche nécessaire à la lutte contre les violences faites aux femmes. En outre, d'un prix abordable, il peut se lire dès 12 ans ... à offrir, à s'offrir ou les deux.

jeudi 10 mars 2011

Polyphonie

Je propose ici un billet reprenant l'article de Mona Chollet paru dans Le Monde Diplomatique de mars et qui reprend elle-même une analyse de la sociologue américaine Laurie Essig. Un billet à trois voix donc et dont les parties issues du texte originel sont en marron italique, entre guillemets et en gras pour les propos rapportés de Laurie Essig. 

L'article de Mona Chollet est paru dans la version papier du mensuel mais un extrait est disponible ici.

Refaire le monde à coups de bistouri, c'est le titre de l'article, propose de se pencher dans un premier temps sur "la crise des subprimes du corps" à laquelle la sociologue étasunienne a assisté. En effet, Mona Chollet rappelle que 85% des actes esthétiques aux Etats-Unis sont payés par un emprunt et que les organismes de crédit spécialisés dans ce domaine particulier prêtent à tout le monde, même aux plus précaires, à des taux pouvant atteindre 28% ... Cette démocratisation de la chirurgie plastique a fait de cette dernière "une entreprise massive de standardisation des visages et des corps".

L'idéologie libérale qui soutient le phénomène et qui exalte "la liberté de choix" trouve ici sa plus évidente limite. Car ce qui frappe, c'est l'impuissance: il s'agit bien de se conformer aux corps artificiels, lisses et brillants que l'on nous brandit et céder à l'anxiété, le mépris et la haine du corps réel ou de se voir éjecté.e du marché qu'il soit amoureux ou du travail, "le poste convoité allant toujours à celle ou celui qui paraît la/le plus jeune" ... Une "liberté de choix" aussi circonscrite me fait dire que le libéralisme n'a finalement jamais eu en commun que l'étymologie avec la liberté.  Et si le corps n'est plus qu'un capital et ses éventuelles modifications un investissement sur l'avenir, la chirurgie esthéthique devient la seule réponse à l'insécurité.

Conçue au départ dans une perspective de normalisation tant raciale que sexuelle (rappelant l'exercice du pouvoir par la discipline des corps mis en lumière par Michel Foucault), elle a pour mission essentielle l'accentuation de la différence des sexes. Comment ne pas s'étrangler quand des chirurgiens la présentent comme une voie d'émancipation des femmes leur permettant "d'acquérir une meilleure estime d'elles-mêmes" ? C'est confondre l'estime de soi avec le soulagement que procure le fait de "prouver sa loyauté à l'ordre dominant".

Avec une clientèle féminine à 90%, il s'agit bien des femmes dans cette triste histoire, des femmes que l'on somme de se conformer à une plastique dont la détermination des critères leur échappe et desquels la majorité d'entre elles est éloignée.

Tu n'as pas de boulot ? Et si c'était parce que tu es moche, grosse, maigre, pas assez féminine ou trop ridée ? C'est un peu l'idée en substance des journées "Action Relooking" proposées par Pôle Emploi aux demandeuses d'emploi de longue durée. Lors de leur lancement, Marie-Anne Chazel disait sa confiance dans les "trucs de fille" pour venir à bout du chômage de masse ... Voilà comment évacuer en trois coups de cuillers à pot (de crème anti-âge) toute initiative de lutte collective contre le fléau structurel de la précarité, touchant en première ligne les femmes, qui puise ses racines à la fois dans le social et l'économique. Comme le suggère Mona Chollet en conclusion de son article, faut-il s'attendre à voir émerger sous peu un crédit spécial lifting pour les bénéficiairEs des minima sociaux ?

mardi 1 mars 2011

Pourquoi les hommes ?

Dans le discours féministe, la formule "les hommes" revient souvent pour qualifier les agents oppresseurs des femmes.

Mais pourquoi "les hommes" ?

Pourquoi pas "des hommes" ?

Ou "certains hommes" ?

Ou encore "les machos" ?

La formulation "les hommes" nous attire souvent la remarque que son emploi nous place dans l'attitude que justement nous dénonçons: la généralisation.

Pourtant, son utilisation se justifie pour plusieurs raisons.

Premièrement, "les hommes" désigne la classe sociale des hommes, un concept qui permet l'économie d'une description par le menu de ce que nous entendons par "hommes" dans l'analyse ou l'observation des rapports femmes/hommes.

En outre, la formule permet également d'approcher une certaine réalité de la situation, à savoir que si tous les hommes ne sont pas des machos invétérés qui tabassent leur femme, tous en revanche ont conscience de leur pouvoir, de leur supériorité sociale et participent à des degrés divers, parfois infimes chez les pro-féministes, au maintien voire à la perpétuation pour certains des inégalités.

D'ailleurs sans cette solidarité tacite de classe et d'individus, point d'oppression possible.

Mon propos fera dire aux adeptes du simplisme que voilà enfin la preuve que les féministes haïssent les hommes ... tous des salauds !!!

Alors avant le lynchage qui s'annonce, quelques précisions s'imposent.

Tout d'abord une remise en contexte: c'est bien la classe des hommes qui hait celle des femmes pour des raisons encore assez imprécises. La liste des méfaits à leur encontre et qu'il n'est pas nécessaire de développer tiendra lieu ici d'explication et le seul fait que les hommes s'insultent entre eux en se traitant de femmes vaut tout exposé sur la question.

Puis, qualifier les hommes d'oppresseurs n'est pas une manifestation de haine, c'est un constat amer qui conduit à la colère, à la dénonciation mais pas à la haine qui porterait en elle un désir d'infériorisation, d'humiliation ou d'exclusion des hommes. Or, pour info, les féministes réclament l'égalité de droit mais surtout de fait ... 

Enfin, chacune d'entre nous est confrontée à la réalité complexe des individus; chacune d'entre nous aime un ou des hommes, fils, père, ami ou compagnon.

Chacune d'entre nous est en colère contre eux quand ils se comportent comme les dominants qu'ils ont encore le droit d'être.

Mais chacune d'entre nous les aime parce que celui-ci aime les chats, celui-là pleure en écoutant un morceau de piano ou cet autre s'éclate à repasser le linge de la famille. Sans parler de ceux qui luttent à nos côtés, qui ont le courage de remettre en cause leur fonctionnement avec sincérité.

Parce que si l'oppression s'incarne plus ou moins en chacun d'eux, ils ne sont jamais vraiment et entièrement le macho "idéal". Et chose encore plus étonnante, certains font preuve de beaucoup plus de féminisme que certaines femmes.

Pour finir, c'est peut-être aussi parce que nous aimons les hommes que nous voulons qu'ils cessent de se ridiculiser dans des attitudes de supériorité et des comportements imbéciles de dominants qui pourrissent tout, et nos vies avant tout. Les féministes à cet égard sont certainement les plus à même de sentir derrière l'armure, parce qu'elles l'ont patiemment démontée, décortiquée, la part d'humanité apaisée qu'il leur faudra cultiver.

Comme l'a cultivée le regretté Léo-Thiers Vidal dont Emelire parle à propos de son ouvrage posthume "De l'ennemi principal aux principaux ennemis".